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De là une première déception. Ce n’est pas tout : au point de vue social, Mme Calandel est sans doute une parvenue ; est-ce bien une parvenue au point de vue scénique ? C’est une femme ardente, dépravée, qui ne recule devant rien pour la satisfaction de ses passions et de ses besoins. Au nombre de ces besoins se trouve sans doute celui d’une situation élevée ; mais, si elle l’a ambitionnée, c’est moins par vanité que par esprit de domination. C’est une femme qui a eu envie de parvenir, ce n’est pas à proprement parler une parvenue. Je la voudrais, pour ma part, moins vicieuse et plus mesquine. On ne nous la montre pas exclusivement préoccupée du rang qu’elle tient, prête pour s’y maintenir à recourir à tous les moyens, à endurer toutes les humiliations, mais aussi savourant toutes les jouissances de cette position si chèrement acquise et veillant sur elle comme sur son plus cher trésor. Que fait au contraire Mme Calandel ? a la première occasion, elle risque sa situation sociale, bien plus, sa fortune pour obtenir l’amour d’un homme qui la dédaigne. Cela est au point que sa qualité de parvenue ne fournit aucune ressource à la marche de la pièce. Qu’est-ce qui en fait le nœud et le véritable intérêt ? C’est l’amour que deux femmes éprouvent pour le même homme. C’est la lutte qui s’engage entre elles et l’odieux moyen auquel l’une des deux a recours pour se débarrasser de sa rivale en la forçant à confesser à l’homme qu’elle aime la faute qui la rend indigne de lui. Supprimez ces incidens romanesques, la pièce n’existe plus. Eh bien ! pour tout cela, il n’est nullement nécessaire que Mme Calandel soit une parvenue. Supposez qu’elle soit du même rang que Mme de Sarrans, et l’intérêt véritable de la pièce n’en est nullement diminué. Sans doute, comme étude morale, il n’est pas sans habileté de nous représenter une femme dont le cœur sec et fermé n’a vécu jusque-là que pour l’ambition, se laissant entraîner par la passion au point de se perdre elle-même ; mais, pour être une femme ambitieuse et sans cœur, il n’est point nécessaire d’être une parvenue. Cette désignation même emporte avec elle l’idée de certains ridicules tout à fait exclusifs de ces transports de passion, et ce titre est cause que les scènes auxquelles on assiste trompent l’attente et déroutent les prévisions.

Vous faites là, me dira-t-on, une assez pauvre querelle à M. Rivière. Le titre d’une pièce ne saurait en augmenter ou en diminuer la valeur. Qu’au lieu d’une Parvenue on mette par exemple sur l’affiche Madame Calandel, et vous voilà content. Pardon, il n’en va pas tout à fait ainsi, et ma critique porte un peu plus loin. Le titre qu’un auteur donne à sa pièce, quand ce titre comporte en lui-même une signification, trahit le plus souvent l’idée qu’il avait devant les yeux en composant. On ne m’ôtera pas de l’esprit que M. Rivière s’est proposé de faire une comédie de mœurs. Il aura été frappé de la quantité de parvenus qu’il y a autour de nous, dans le monde, dans la littérature, dans la politique, et il aura