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vie de travail et de dénûment. Mme Calandel refuse. M. Calandel éclate alors, et dans un mouvement de passion dont l’effet est encore augmenté par la diction de l’acteur chargé du rôle, il dépeint à M. de Léris, qui en sait plus long que lui, le caractère de sa femme. C’est encore l’occasion d’une scène assez belle qui relève singulièrement le rôle du mari, dont la confiance au début effleurait le ridicule. Aux derniers mots de Calandel : « Je vous chasse, » Mme Calandel répond : « Je m’en allais, » et laisse son mari en tête-à-tête avec M. de Léris, qui lui propose de partir pour l’Amérique, dont l’asile s’ouvre également aux caissiers en fuite et aux maris trompés.

Voilà toute la pièce. Ce n’est pas ma faute si l’analyse en est un peu lente. Je ne reprocherai pas à M. Rivière l’emploi de certains procédés un peu rebattus, par exemple celui des lettres. Les lettres perdues et retrouvées jouent dans les comédies un peu le même rôle que la croix maternelle dans les mélodrames ; mais il ne faut pas trop reprocher aux jeunes auteurs l’emploi de ces vieux procédés. Le tout est de savoir à quoi ils leur servent. D’ailleurs M. Rivière fait preuve en d’autres endroits, vis-à-vis de la vieille tradition classique, d’une véritable indépendance. A la sortie, j’entendais un auditeur tout surpris s’écrier : Mais personne ne s’épouse dans cette pièce ! Cette critique, qui sent le vieil habitué, est on ne peut plus injuste. Le dénoûment qu’a choisi M. Rivière est neuf et vigoureux. Il lui eût sans doute été facile de replâtrer un mariage entre M. de Léris et Mme de Sarrans. J’aime mieux qu’il nous ait fait voir l’homme austère demeurant jusqu’au bout aussi entier que la femme dépravée. On fait bien assez de mauvais mariages dans le monde sans en faire encore au théâtre. C’était bon pour Molière d’unir autrefois Éliante et Philinte. L’agrément de n’être pas Molière, c’est d’avoir des franchises qu’il ne se donnait pas.

Il faut maintenant que j’essaie d’expliquer à quoi tient cette demi-satisfaction que laisse la pièce de M. Rivière. La raison en est, suivant moi, que cette pièce ne répond nullement à l’idée que son titre en fait forcément concevoir à l’avance. Involontairement on s’attend à une peinture de société. Or l’action se passe tout entière en dialogues. Rarement y a-t-il trois personnages en scène. S’il y en a quatre, le quatrième ne dit mot. Pas une seule de ces scènes à plusieurs interlocuteurs, difficiles à manier, je le veux bien, mais qui étaient impérieusement commandées par la nature de l’œuvre. Vous savez que Mme Calandel est une parvenue. M. Rivière vous en prévient dès la porte, et de peur que vous ne l’oubliiez, elle-même prend soin de s’appliquer constamment cette épithète peu flatteuse ; mais vous n’en avez pas ce que j’appellerai la démonstration. On vous raconte ce qui devrait se passer sous vos yeux, par exemple une petite humiliation infligée à Mme Calandel par d’altières dames de charité. En un mot, les peintures de la société font tout à fait défaut dans la pièce de M. Rivière.