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gré à M. Rivière du bon goût de son style, de la simplicité de son dialogue, du soin avec lequel il a évité toute déclamation, toute recherche de petits effets. On lui sait gré surtout d’avoir donné à sa comédie une allure originale, de ne s’être point plié sous le joug de certaines conventions scéniques dont l’autorité est au moins contestable. On applaudit avec empressement quand l’occasion s’en rencontre, et l’on s’en va persuadé que M. Rivière donnera un jour ou l’autre au Théâtre-Français une œuvre dramatique vraiment bonne. Pourtant, pour être tout à fait franc, je crois qu’il n’y a personne qui sorte entièrement satisfait, et qui ne se dise en s’en allant : Voilà une pièce qui a du mérite, mais qui ne va pas comme elle devrait aller. Telle est, ce me semble, l’impression générale, impression confuse d’abord, mais qui s’éclaircit avec la réflexion, et que je m’en vais essayer de justifier.

Mme Calandel, la parvenue, est une femme ambitieuse, intrigante, coquette. Si elle est demeurée vertueuse, c’est au sens le plus matériel du mot. Mariée à un ingénieur habile et honnête, elle n’a point voulu attendre patiemment une fortune honorable ; elle a lancé son mari dans les spéculations, et s’est servie de l’influence qu’exerce sa beauté sur un vieux prince de Schœmberg et sur un certain comte de Mersey pour les déterminer à s’associer aux entreprises de M. Calandel et à lui confier leur immense fortune, que celui-ci a fait fructifier. C’est grâce à cette association que M. Calandel est arrivé rapidement à l’opulence. Le prince de Schœmberg, dont il est beaucoup parlé, n’apparaît cependant point en scène. Quant au comte de Mersey, Mme Calandel l’a ravi à une jeune veuve, la comtesse de Sarrans, qui a été autrefois sa camarade de pension. Le comte de Mersey a eu la faiblesse de livrer à Mme Calandel des lettres fort compromettantes de Mme de Sarrans, et à l’aide de ces lettres Mme Calandel exerce sur son ancienne amie un tel empire qu’elle la contraint à lui servir de chaperon dans le monde, et à la couvrir de son nom et de sa réputation inattaquée. Riche, entourée, puissante, nous voyons, au moment où la toile se lève, la parvenue au comble de son ambition et de ses vœux.

Telle est la situation qui sert de point de départ à la pièce. On pourrait peut-être en critiquer la vraisemblance. Comment Mme Calandel, femme d’un ingénieur non encore enrichi, a-t-elle fait d’aussi belles connaissances que le comte de Mersey et le prince de Schœmberg, un prince régnant, s’il vous plaît ? Comment M. Calandel, qui se décerne à lui-même avec tant de conviction un brevet d’honnêteté parfaite, accepte-t-il cette association occulte dont le résultat est de faire peser sur lui des soupçons de complaisance injustes, je le veux bien, mais en tout cas fort naturels ? Il y aurait bien des choses à dire là-dessus, si ce n’était un tort, suivant moi, de trop chercher querelle aux auteurs sur les questions de vraisemblance matérielle. Il faut garder toutes ces