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discussion, celui qui laisse voir bien mieux encore cette résistance intime du sénat, c’est le discours du prince Napoléon et l’espèce d’ahurissement où il a jeté la vieille assemblée. C’est une figure étrange assurément que celle de ce prince à l’accent vibrant, à l’esprit vif, au geste familier et impérieux, démocrate parmi les princes, fils de roi et cousin d’un empereur parmi les démocrates. On sent en lui une impatience sans but, une activité inoccupée, une intelligence curieuse et hardie qui cherche un aliment. Son malheur est de n’avoir rien à faire et d’avoir plus d’esprit que d’autorité. Ce n’est point un homme d’état, c’est une aptitude déclassée et sans emploi. Il ne parle pas souvent dans le sénat ; toutes les fois qu’il parle, c’est une sorte de scandale, et cela ne laisse pas même d’être assez bizarre d’entendre des sénateurs nommés par l’empereur, probablement dévoués à l’empire, appliquer à un discours d’un membre de la famille impériale les épithètes d’affligeant, de scandaleux. Quels blasphèmes a donc proférés cette fois le prince Napoléon ? En vérité il n’a dit que ce que tout le monde dit, et c’est sans doute parce qu’il a parlé comme tout le monde qu’on a trouvé qu’il ne parlait pas comme un prince. Il a porté dans le sénat les idées libérales qui flottent dans tous les esprits. Son discours, quoique un peu décousu, a été net, animé, inspiré par un sentiment juste de la situation actuelle. C’est le programme d’une politique que le prince Napoléon n’a point assurément inventée, et qui, au besoin, triompherait parfaitement sans lui. — Mais quoi ! s’est-on empressé de dire, n’est-ce pas aussi le programme d’un prétendant ? Prendre cette attitude en face d’un acte proposé par le souverain, laisser entendre que le sénatus-consulte peut être complété, que ce n’est pas le dernier mot du libéralisme, n’est-ce pas lever le drapeau d’un empire collatéral ? Une fois dans cette voie, amis et adversaires s’en sont mêlés, les uns voyant un en-cas dans le prince Napoléon, les autres le désignant comme un usurpateur machiavélique en marche vers le trône. Ce sont de curieuses disputes byzantines. Pour notre part, nous ne croyons guère à ces prétentions, à ces antagonismes et à ces calculs ; par une raison qui n’a rien à voir avec ce que peut penser le prince Napoléon. On se souvient de ce mot piquant d’un homme qui prétendait qu’il n’y avait plus dans le monde assez de foi religieuse pour faire vivre deux religions. De même il n’y a pas en France assez de foi impérialiste pour faire vivre deux empires. Dans quelle tête saine peut-il entrer que, si l’empire actuel était frappé dans son chef, il revivrait dans un prétendant collatéral ? Le prince Napoléon a trop d’esprit pour ne pas s’en douter, et voilà pourquoi on peut dormir tranquille au Luxembourg et ailleurs sans se préoccuper beaucoup de la lutte des deux empires. Ce qui est plus vrai, c’est que ce discours du prince Napoléon, qui a ai bien mis les imaginations en campagne, a été tout simplement pour le sénat une occasion de laisser voir ses secrètes inquiétudes en présence de la