Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Respect des lois ! M. Bonjean a échappé à la question préalable, mais il n’a rien perdu pour attendre ; son amendement n’est pas allé bien loin, il a échoué devant la volonté fixe de maintenir la haute assemblée dans l’intégrité de son pouvoir constituant.

Au fond, puisque le sénat était à l’œuvre, il eût mieux fait à coup sûr de saisir virilement l’occasion qui lui était offerte, en se créant une situation à la fois plus simple et plus efficace, en abdiquant lui-même des prérogatives aussi difficiles à définir qu’à exercer, car enfin que signifie ce pouvoir constituant dont il paraît si jaloux ? Il le possède depuis qu’il existe, qu’en a-t-il fait jusqu’ici ? Il n’en a jamais usé, que nous sachions. Il n’y a pas une mesure de quelque importance dont il ait pris l’initiative, il n’y a pas un acte sérieux de notre politique sur lequel il ait exercé une véritable influence. Il est revenu tout doucement au rôle d’une chambre des pairs sans initiative, sans action précise, et le gouvernement lui-même le lui a durement reproché un jour, il y a bien des années, lorsqu’on était encore dans la lune de miel de la constitution de 1852, en lui rappelant qu’il « n’avait pas compris l’importance de sa mission. » Le fait est que la difficulté était d’abord de comprendre cette mission. Il ne faut pas s’y tromper, ce pouvoir constituant par lequel on a cru distinguer le sénat impérial de l’ancienne pairie, ce pouvoir n’est qu’une exorbitante attribution ou un piège ; il ressemble au plébiscite dont parlait l’autre jour le prince Napoléon en disant qu’il n’était qu’une illusion, si le peuple répondait oui, et qu’il était une révolution, si le peuple était tenté de répondre non. Plus d’une fois, dans cette dernière discussion, on a répété ces mots de sénat modérateur, pondérateur. Modérateur, de quoi ? quelle velléité a donc modérée le sénat avec ses pouvoirs actuels ? A-t-il jamais retenu le gouvernement « lorsqu’il s’il s’emportait, » ou l’a-t-il stimulé « lorsqu’il s’endormait, » selon le programme qu’on lui traçait il y a quinze ans ? Il faut prendre les choses pour ce qu’elles sont. Le sénat impérial n’a rien fait et n’a pu rien faire, parce qu’il pouvait trop ou trop peu, parce qu’il a été placé dans des conditions originelles de nature à l’immobiliser dans une fastueuse inertie. S’il aspire à ce rôle de modérateur qu’il n’a jamais rempli vis-à-vis du gouvernement pendant tout un règne, et qu’il ne pourra pas mieux remplir dans l’état actuel vis-à-vis d’une assemblée populaire rendue à l’indépendance, s’il aspire à ce rôle, c’était justement pour lui le cas de s’approprier l’amendement de M. Bonjean, de se retremper dans le courant de l’opinion, de se fortifier d’élémens nouveaux, au lieu de se retrancher dans une prérogative stérile et d’avoir l’air de ne tant s’attacher à ce qui reste de la constitution de 1852 que par un sentiment secret de protestation contre toutes ces innovations auxquelles il fallait bien souscrire.

L’incident le plus curieux et le plus significatif aussi de cette dernière