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indécisions, des incohérences de style. M. Garnier se console en disant que les artistes multiples étaient le plus souvent inférieurs en certains points, les peintres lorsqu’ils devenaient sculpteurs, les sculpteurs lorsqu’ils faisaient œuvre d’architectes. Une fois réalisées, les créations de pareils hommes procurent au premier aspect une impression calme et forte qui saisit. Il est bien rare, ajoute-t-il, que l’analyse ne conduise à y reconnaître de nombreuses imperfections. M. Garnier conclut que, si tout artiste ne peut pas, comme Michel-Ange, Raphaël, le Giotto, Scamozzi, Sansovino, manier tour à tour le compas, le pinceau et l’ébauchoir, il faut cependant que l’architecte sache peindre et sculpter pour juger sainement de la peinture et de la sculpture et les employer au besoin avec autorité ; il faut que le sculpteur et le peintre connaissent assez d’architecture, non pour élever l’édifice, mais pour l’apprécier, en comprendre les moyens et les discuter sincèrement. Alors s’établit une communauté d’idées, chacun ne parlant plus à l’autre une langue étrangère ; les rivalités inutiles ou pernicieuses tombent, elles n’ont plus de raison d’être ; il y a réellement concorde, collaboration a une même œuvre.

Jusqu’ici, nous ne voyons que des considérations générales, qui ne s’appliquent point immédiatement au groupe de M. Carpeaux. Ailleurs néanmoins l’architecte, parlant des sacrifices que les sculpteurs ont à faire, montre combien il est indispensable que ces derniers envisagent la place qui leur est assignée ; il faut non pas seulement qu’ils se renferment dans ce cadre et donnent à leurs statues des dimensions déterminées, cela va de soi et nul ne songe, pense-t-il, à s’en affranchir : ils ont à se pénétrer de l’effet que leur travail produira, de la mission qui leur est échue. Leur travail, pour être parfaitement décoratif, doit avoir des « vertus collectives, » mot remarquable que nous signalons aux réflexions de M. Carpeaux. Cela leur sera bien facile, si les artistes ont fait assez d’études pour aimer l’architecture, en apprécier les beautés, en reconnaître les défauts. Ils deviendront en ce cas architectes eux-mêmes, ils marcheront droit au but. « Et pourtant, continue M. Garnier, combien dédaignent ou ignorent cette règle première et nécessaire ! Combien font des tableaux ou des statues d’ateliers qui contrastent avec les entourages, rompent les lignes ou les tons d’ensemble, et non-seulement nuisent à l’édifice, mais encore se nuisent à eux-mêmes… L’harmonie est indépendante de la donnée générale et du style choisi… Il ne s’agit que de s’entendre à- deux, de discuter amicalement le bien et le mal et de réunir comme dans une même pensée les deux arts qui tendaient à se produire individuellement. »