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la vulgarité, le geste malsonnant et malsain dont la statuaire ne s’accommode pas davantage. La beauté, cette splendeur qui réjouit les yeux comme le vin réjouit le cœur, n’est pas chose si vile que l’artiste ne doive pas s’en soucier, et qu’il ne l’introduise dans ses compositions que comme un hors-d’œuvre. Nous savons bien que la beauté est chose peu commune ; serait-elle sans cela un si grand objet d’admiration ? Il faut la chercher, et, quand l’artiste en a trouvé les morceaux ou les membres épars, il lui reste à les réunir par un lien harmonieux. Ce travail constitue son œuvre, il la rend distincte et la fait à jamais sienne. Il donne enfin aux figures qu’il emploie le type et le caractère auxquels on les reconnaîtra.

Était-il nécessaire à M. Carpeaux de nous présenter des femmes déshabillées et non pas nues, — le nu est autre, — n’offrant même pas cette espèce de grâce de la galanterie équivoque pour laquelle les vieillards et les jeunes gens sans âge ont porté si haut tant de figures de Pradier ? Fallait-il étaler aux regards des chairs un peu bestiales, emphatiques, à la fois flasques et gonflées ? Ces figures, on serait tenté de les prendre pour des filles de débauche dansant ensemble après une orgie qu’elles ont partagée avec un adolescent quelconque et qui s’est mis nu comme elles !

L’objection qui a été faite en faveur de l’artiste pour atténuer l’erreur qu’il a commise dans le choix de ses modèles mérite peu qu’on s’y arrête. Les Hollandais ni les Flamands n’ont pas craint de retracer sur la toile des personnages qui n’offraient guère la beauté de la forme. Si le grand roi les faisait éloigner de ses yeux en les déclarant des magots, ils n’en avaient pas pour cela moins de valeur et moins d’accent. Pour ne citer qu’un exemple, la Kermesse de Rubens, qui décrit si vivement la félicité brutale, l’exaltation et le délire des sens, est acceptée comme un chef-d’œuvre. Sans doute, mais la Kermesse est une œuvre du pinceau ; le pinceau a son domaine propre et ne peut le franchir. Quel effet ferait la Kermesse en bas-relief, à la base d’un monument, sur un piédestal, dans un endroit où il est indispensable que l’accord des lignes verticales ne soit pas rompu, c’est ce que nous souhaitons ne jamais voir de nos yeux. Autant vaudrait, pour la témérité de l’entreprise, mettre en vers français, ce qui a du reste été essayé, l’Intermezzo de Henri Heine.

Tout le groupe de la Danse, malgré la blancheur de la pierre récemment taillée, a gardé, je ne sais pourquoi, quelque chose de l’aspect de l’ébauche ou de l’esquisse en terre, et rappelle plutôt le travail de l’argile que celui d’une matière plus dure. Cependant nous croyons que M. Carpeaux est un de ces artistes consciencieux qui ne se contentent pas de ce premier travail, qui ne