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différentes villes où l’armée victorieuse rétablissait le pavillon étoilé. On ne saurait se faire une idée de l’énergie avec laquelle les citoyens de l’Union concoururent à cette œuvre. Dès l’année 1862, des réunions publiques furent tenues à New-York, à Boston, à Philadelphie, et aussitôt se formèrent, sous la double influence de l’humanité et de la religion, l’association pour secourir les affranchis, l’association des missionnaires à New-York, le comité d’éducation à Boston, des sociétés d’éducation à Philadelphie, à Cincinnati, à Chicago. Des feuilles spéciales s’établirent pour rendre compte des résultats obtenus par chacune des sociétés, pour faire connaître le montant des dons volontaires recueillis, publier les lettres et les informations envoyées de tous les lieux où les protecteurs des noirs exerçaient leur action. Dès la seconde année, 1,500 écoles avaient pu être ouvertes aux hommes de couleur. A mesure que l’armée du nord prenait possession de quelque ville nouvelle, une phalange dévouée d’instituteurs et d’institutrices y entrait à sa suite. En incorporant parmi leurs soldats les nègres fugitifs, les généraux formaient pour eux des écoles régimentaires. Les chapelains les initiaient aux vérités de la religion, aux principes de la morale, et leur apprenaient en même temps à lire et à écrire. Sherman en Géorgie, Banks dans la Louisiane, Howard dans le Tennessee, déployèrent, pour accomplir ce devoir d’humanité, la même énergie qu’ils appliquaient aux soins de la guerre. On était loin du temps où une loi du sud défendait, sous peine de mort, d’enseigner la lecture et l’écriture aux esclaves. Il faut le dire à l’honneur de la race déshéritée, aucun spectacle ne pourrait être plus touchant que celui qu’offraient alors ces malheureux, vieillards, hommes, femmes et enfans, aussi empressés de courir aux écoles où l’instruction allait régénérer leurs âmes qu’aux maisons hospitalières ouvertes pour abriter leurs corps. L’homme affamé ne se jette pas avec plus d’avidité sur les mets qu’on lui présente que ces pauvres fugitifs sur ce pain du savoir qu’un instinct très vif leur faisait considérer comme la première condition de leur régénération. Les instituteurs et les institutrices furent à la hauteur de cette grande tâche. Les offrandes d’argent, les envois de denrées, de vêtemens, arrivaient de toutes parts. Le bienfaisant Peabody consacrait 5 millions à la création des écoles. Une seule association, le Missionnaire américain, recevait plus de 45,000 francs par mois, somme encore bien insuffisante sans doute pour secourir efficacement tant de souffrances physiques et morales. Le congrès donnait 45 millions au bureau des affranchis, dont la présidence avait été confiée par Lincoln au général Howard, qui venait de perdre une jambe dans l’un des derniers combats. Tout ce qu’accomplit ce bureau depuis le jour où il fut installé est inimaginable. Les