Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la circonspection et de la pudeur, elles se sentent assez fortes pour se défendre elles-mêmes, s’il en est besoin. On a compté sur leur sagesse ; elles savent qu’elles doivent prévoir les conséquences de leurs démarches, de leurs paroles, de leurs actes, et que la responsabilité en pèse tout entière sur elles. Elles n’ignorent pas surtout, et c’est là le point important, que la société les entoure de sa protection, que toute atteinte à leur dignité ou à leur honneur sera rigoureusement punie. L’opinion publique ne prend pas parti pour le séducteur contre la jeune fille égarée, et la loi en ce cas frappe avec raison l’homme, le vrai coupable. C’est sur cet accord de l’opinion publique et de la loi que se fonde la sécurité des familles.

On conçoit que, pour apprécier un système si opposé à nos idées et à nos habitudes, il est nécessaire de tenir compte des différences caractéristiques qui existent entre notre état social et celui de l’Amérique. Nos lois, nos mœurs, nos préjugés, résultat de nos misérables traditions de galanterie, font considérer comme dangereuse la liberté avec laquelle sont élevées les jeunes filles, non-seulement en Amérique et en Angleterre, mais encore en Allemagne et en Suisse. Pour les nôtres, l’idéal de l’éducation a presque toujours été celle du couvent, d’où elles ne sortaient que pour se marier et remplir des devoirs auxquels elles étaient bien peu préparées. Une réclusion absolue et une indépendance sans limites sont deux excès qu’il faut éviter : les mères de famille qui comprennent aujourd’hui le besoin de donner à leurs filles une instruction plus large et plus étendue savent concilier la liberté et la surveillance.


III

L’importance légitime attachée par les États-Unis à l’éducation des femmes, leur participation aux études longtemps considérées comme devant être le partage exclusif des hommes, les préparent merveilleusement à ce rôle d’institutrices qui, dans la société américaine, paraît devoir être une de leurs plus précieuses prérogatives. C’est à ce titre qu’elles ont pu concourir de la manière la plus efficace à une œuvre éminemment civilisatrice, je veux dire la fondation dans les états du sud de nombreuses écoles destinées aux enfans des nègres affranchis. Rien ne fait plus d’honneur à l’Union que le zèle avec lequel le gouvernement et les associations privées se sont occupés, au moment le plus terrible de la guerre de sécession, d’assurer aux nègres du sud des moyens d’existence, et de créer des écoles pour eux et pour leurs enfans. On n’ignore pas que le nord, tout en se montrant opposé à l’esclavage, n’avait pas plus que le sud abjuré le préjugé qui considère les fils de l’Afrique comme appartenant à une race inférieure. Une invincible répugnance avait toujours