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importance et un degré de considération qu’elles n’obtiennent point ailleurs. Dans les circonstances tout exceptionnelles où s’est fondée la société américaine, ayant à se répandre librement au sein des vastes et magnifiques contrées ouvertes à son activité, elle a compris que l’éducation populaire devait être le premier de ses devoirs, que, partout où s’établissait une commune, une école devait s’élever à côté de l’église. Une église, une école, un journal, tels sont pour elle les trois élémens essentiels de toute civilisation. Dans les premiers temps, les maîtres étaient rares et ne pouvaient suffire aux besoins. Les Américains firent donc appel aux femmes que leur savoir pouvait rendre aptes à la profession d’institutrices. Peu de localités possédaient les ressources nécessaires à la construction de deux écoles ; le même établissement dut recevoir les enfans des deux sexes. L’égalité démocratique étant profondément entrée dans les mœurs de l’autre côté de l’Atlantique, les enfans des riches et des pauvres vinrent s’asseoir sur les mêmes, bancs et recevoir le même enseignement depuis le premier degré jusqu’au plus élevé. L’on ne tarda pas à s’apercevoir non-seulement que les jeunes filles, instruites à côté des jeunes garçons, ne leur étaient inférieures ni en application ni en intelligence, mais encore que les institutrices appliquaient à l’enseignement des qualités et des aptitudes que l’on ne trouvait pas au même degré chez les instituteurs.

Ces différences devinrent peu à peu d’autant plus manifestes que les jeunes gens étaient pour la plupart obligés d’abandonner dès l’âge de quatorze ou quinze ans les études commencées pour entrer dans les affaires, tandis que rien ne s’opposait à ce que les jeunes filles les continuassent. Celles-ci se trouvèrent donc en possession d’une instruction plus solide, plus étendue, et se firent ainsi dans la société une place plus élevée que celle qui leur est assignée chez les nations européennes. Le respect et la considération dont elles étaient l’objet en Amérique s’accrurent encore lorsqu’au milieu des grands événemens dont les États-Unis furent le théâtre, elles montrèrent que leur courage et leur patriotisme ne le cédaient en rien à ceux des hommes. On sait quel admirable dévoûment les femmes et les jeunes filles des états du nord ont déployé pendant les cruelles années où la plus terrible guerre que nous offrent les annales des temps modernes a mis les armes aux mains des deux parties de l’Union. On les a vues accourir sur les champs de bataille, porter des secours et des consolations aux blessés, se transformer pour eux en véritables sœurs de charité. Les instituteurs payèrent à la mort un large tribut. Dans plusieurs états, il ne revint qu’un petit nombre de ceux qui s’étaient enrôlés sous les drapeaux de l’armée du nord. Les institutrices se multiplièrent pour les