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n’y manque de ce qu’exigent les recherches sur les sciences de la vie. Le Natur-Palatz est une des gloires de cet heureux petit pays de Bade. Les chambres votent tous les ans les fonds nécessaires à l’entretien, et, quand les professeurs le demandent, elle s’ouvrent des crédits supplémentaires pour les acquisitions importantes. Heidelberg a encore M. Bunsen ; Berlin lui a enlevé Kirchhoff. C’est à Heidelberg qu’ont été inaugurés ces beaux travaux d’analyse spectrale qui nous révèlent la constitution chimique des astres. Heidelberg, célèbre il y a quelques années par les études de droit qu’on y faisait, est aujourd’hui le centre des sciences physiques et physiologiques en Europe. L’état allemand qui de son budget entretient le Natur-Palatz retient MM. Helmholtz et Bunsen, attire tous les étudians de l’Allemagne et tous les savans de l’Europe dans une de ses universités, l’état qui fait cela est grand comme trois de nos départemens.

Le XVIIIe siècle avait donné aux sciences françaises la prépondérance dans toute l’Europe. En 1795, Pallas, Allemand de nation, imprimait à Saint-Pétersbourg en français son Tableau physique et topographique de la Tauride. Jusqu’en 1804, les Mémoires de l’Académie de Berlin sont rédigés en français ; le français était devenu la langue savante du continent. Toute cette avance est perdue. Les guerres de l’empire, couronnées par le réveil de la nationalité allemande, ont été le signal d’une violente réaction qui s’est étendue aux lettres et aux sciences. Les universités, après avoir élevé l’enseignement théorique à une grande hauteur, fondent aujourd’hui l’enseignement pratique sur les plus larges bases. L’esprit allemand en est renouvelé, il quitte ses langes séculaires, il entre dans la maturité de l’esprit moderne avec tous les avantages d’une organisation de son enseignement dont rien n’approche ailleurs. Aussi l’influence de l’Allemagne dans les sciences va-t-elle grandissant en Europe. Il y a quelques mois, un privat-docent de Berlin, appelé professeur dans la capitale de la Hollande, commençait son cours en allemand. Il donna cette raison à ses auditeurs étonnés, que l’allemand était désormais la langue scientifique universelle. A Paris même, une sorte de découragement presque coupable s’empare de nous ; les sciences de la vie elles-mêmes ont une tendance à se germaniser jusque dans la patrie de Buffon, de Bichat, de Geoffroy Saint-Hilaire. C’est là un état extrêmement grave ; il mérite toute l’attention de ceux qui ont à cœur de voir la France reprendre dans les sciences un rang digne d’elle. Il faut que leur patriotisme cherche les moyens de rallumer à tout prix le flambeau de vérité que la France tenait autrefois plus haut que toutes les nations du monde.


GEORGE POUCHET.