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professeur ordinaire dans une autre faculté. Le recteur transmet la liste au ministre, celui-ci la présente au souverain ; mais il n’a le droit d’y rien changer. Ce privilège qu’a l’université de faire parvenir au chef de l’état l’expression de son choix sans qu’elle ait à subir le contrôle d’aucune autorité intermédiaire est une de ses plus antiques prérogatives et une de celles dont elle est le plus jalouse. Il est sans exemple, même en Autriche, que le chef de l’état ait fait une nomination en dehors de la liste de la faculté. Il y eut parfois, pour des motifs politiques, certains exemples de refus de nomination ; alors la place resta vacante jusqu’à ce que le différend fût vidé. Dans ce cas, le gouvernement oppose à la décision académique une sorte de veto ; mais il ne lui viendrait jamais à la pensée de substituer son initiative à celle de la corporation. Il arrive même ainsi quelquefois qu’il répond au sentiment public, dédaigné par les professeurs, affirmé par les étudians. Ceux-ci, membres de la corporation, peuvent en effet, dans certaines circonstances, intervenir directement. Quand ils croient avoir quelque motif sérieux de ne point approuver le choix fait d’un nouveau professeur ordinaire, ils ont le droit de faire entendre au souverain leurs vœux méconnus. Un des professeurs les plus notables de la faculté de médecine de Vienne ne doit sa chaire qu’à une démonstration de ce genre.

Tout professeur ordinaire, quoiqu’il reçoive un traitement de l’état, échappe, par le seul fait de sa nomination, à la censure administrative. On n’a jamais eu, ainsi qu’en France, l’ingénieuse idée de considérer les professeurs comme des fonctionnaires, et leurs honoraires comme un don gracieux qui commande la reconnaissance ou éteigne l’hostilité. Le célèbre Virchow, un des chefs les plus violens de l’opposition en Prusse, professeur à l’université de Berlin, touche 1,200 ou 1,500 thalers sur le budget sans que cela l’empêche d’attaquer le gouvernement à la tribune, dans ses cours, dans les réunions publiques. Nul ministre n’a jamais songé à lui faire entendre qu’il devrait au moins donner sa démission. C’est la Prusse qui paie ses professeurs et non le roi. Une chaire est un asile inviolable, et on a pu voir à la suite de la dernière guerre un professeur de Gœttingue, partisan déterminé de l’autonomie des petits états germaniques, entrer en lutte ouverte avec Guillaume Ier et personnifier au moins autant que le vieux roi de Hanovre la résistance à la Prusse.

Le traitement fixe des professeurs ordinaires varie d’une université à l’autre et même d’un professeur à l’autre dans la même université. Il est augmenté tous les dix ans. De plus le collège académique qui a voulu s’attacher un professeur jouissant déjà d’une grande notoriété a dû quelquefois pour l’attirer lui offrir des avantages extraordinaires. À chaque vacance, il se fait entre les universités une sorte de mise à prix du professeur fort curieuse. Tout se