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leur faire un triste compliment. Le quatrième volume se compose presque en entier du récit de la bataille de Balaclava, simple épisode, un peu longuement décrit, où les Français ne figurèrent que par une charge de chasseurs d’Afrique conduite avec autant de vigueur que d’à-propos, tandis que la cavalerie légère des Anglais s’y faisait exterminer sous la direction assez malhabile de lord Cardigan. La façon singulière dont l’auteur dénigre ce général, tout en le louant avec emphase, est un modèle de panégyrique malveillant. Lord Cardigan est le héros malheureux de cette partie du récit. Quant au troisième volume, il semble avoir pour but de démontrer que les alliés, pendant le premier mois de leur séjour en Crimée, laissèrent échapper, par impéritie et contre l’avis de lord Raglan, l’occasion certaine de prendre Sébastopol. M. Kinglake leur reproche surtout trois fautes : d’être restés trop longtemps sur le champ de bataille de l’Alma, de n’avoir pas attaqué la place par le côté nord au lendemain de la victoire et de s’être attardés à construire des batteries sur le plateau de la Chersonèse, au lieu d’enlever d’assaut les retranchemens peu redoutables qu’ils avaient devant eux. Comme on doit s’y attendre, il rejette sur les généraux français la responsabilité de ces fautes.

Nous nous sommes efforcé de résumer fidèlement la situation telle qu’elle était aussi bien à l’intérieur de Sébastopol que dans le camp des alliés pendant cette première période du siège, et de ce récit il ne résulte pas, ce nous semble, que tant de fautes aient été commises. On en conclurait plutôt, selon toute apparence, que les opérations de la guerre furent conduites alors avec une sage audace. Eût-il été raisonnable de débarquer une armée de 50,000 hommes, avec ses bagages et ses immenses approvisionnemens, sur la côte escarpée qui s’étend au sud de la forteresse ? S’il n’y avait pas d’autre lieu de débarquement à choisir que la plage basse de Kalamita, pouvait-on se jeter sur Sébastopol, au lendemain de l’Alma, sans prendre le soin de relever et de rembarquer les blessés ? Devait-on attaquer les forts de la Severnaïa, quand on était exposé, en cas d’échec, à perdre l’appui de la flotte, que le moindre coup de vent aurait éloignée de la côte ? Et une fois arrivé sur le côté sud de la place, que seraient devenus les assiégeans, si la garnison avait obtenu sur eux le moindre avantage, et que Menchikof les eût attaqués par derrière avant qu’ils se fussent couverts par des ouvrages de contrevallation ? On ne risque rien à venir affirmer aujourd’hui que Sébastopol était incapable de résister dès le début de l’invasion à une attaque énergique ; mais, s’il était arrivé par malheur que cette attaque n’eût pas réussi et que les escadres anglo-françaises en fussent revenues avec de grosses avaries, le pavillon russe reparaissait