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redoutables sans doute, mais qu’une immense distance séparait du théâtre de la guerre.

L’attaque, si longtemps différée, avait enfin été fixée au 17 octobre. Depuis un mois que les alliés étaient en Crimée, la force respective des deux armées belligérantes avait bien changé. La garnison de Sébastopol surpassait en nombre les troupes qui en faisaient le siège ; l’armée de secours, sous les ordres de Menchikof. était supérieure aux deux ou trois divisions anglo-françaises qui couvraient les attaques. D’un côté, il y avait les ressources infinies d’un arsenal de premier ordre, de l’autre on ne possédait que les approvisionnemens débarqués par la flotte au jour le jour. Nous ne voudrions pas mettre en parallèle les généraux qui dirigeaient de part et d’autre les opérations ; la question serait trop délicate à traiter, et peut-être est-elle encore obscure. Néanmoins il faut convenir que Todleben, soit par talent inné, soit par connaissance des lieux, s’était montré plus habile ingénieur que ses adversaires, et qu’il avait placé ses batteries de manière à causer plus de dégâts aux alliés que les batteries de ceux-ci ne devaient en faire éprouver aux défenseurs de la ville.

Les alliés avaient grande confiance dans la puissance de leur artillerie aussi bien que dans la valeur de leurs troupes. Ils espéraient éteindre, après une canonnade de quelques heures, le feu de la place, enlever alors d’assaut le redan et le bastion du Mât, dont les batteries russes n’auraient plus couvert les approches ; une fois la ligne ennemie entamée, ils se disaient que la garnison n’offrirait pas à leurs colonnes d’assaut une résistance insurmontable. Sur ce dernier point, ils étaient dans le vrai plus peut-être qu’ils ne le soupçonnaient eux-mêmes. Nous savons en effet que la garnison se composait en majeure partie de marins qui ne pouvaient avoir sur terre la solidité de bonnes troupes d’infanterie, et que d’ailleurs la conformation du sol, découpé par de nombreux ravins, était un obstacle à ce que des forces suffisantes fussent réunies à temps sur le point le plus menacé. Quant à l’armement des batteries russes que Todleben avait élevées en avant de la place, les généraux anglo-français n’avaient pas apprécié à une juste valeur les ressources considérables que leurs adversaires étaient à même de tirer de leur flotte. Ils avaient mis en ligne 126 canons, tandis que les Russes en comptaient 341, dont 118 au moins portaient directement sur les travaux de siège. Encore ne compte-t-on pas dans cette évaluation les canons des vaisseaux embossés dans la rade de façon à battre les chemins par lesquels les assaillans pouvaient se précipiter sur la ville. De plus encore, les pièces russes appartenaient en partie à la marine, et étaient par conséquent d’un calibre supérieur.

Au lever du soleil, les Russes s’aperçurent que les embrasures des