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d’action, dépourvus, il est vrai, de l’expérience des grandes guerres, auxquelles nul d’entre eux n’avait eu l’occasion de prendre part, mais habitués à la vie des camps et rompus aux exercices militaires. Les Anglais avaient à leur tête des hommes d’une autre nature. On serait tenté de croire que la conquête de l’Inde a été une école pour leur armée de même que pour la nôtre la conquête de l’Algérie ; il n’en est rien. Les troupes de l’Inde étaient à la solde de la compagnie : les officiers qui en faisaient partie n’étaient admis dans les cadres de la métropole que par exception et avec un grade inférieur. Il n’y avait guère en Angleterre que des soldats qui n’avaient jamais paru sur un champ de bataille, et des généraux d’un âge avancé qui dataient leur service actif du temps du premier empire. Le commandant en chef, lord Raglan, avait soixante-six ans ; il comptait alors juste cinquante ans de service militaire. Officier de l’état-major de sir Arthur Wellesley au début de sa carrière, il avait accompagné ce général dans toutes les guerres de la Péninsule. A Waterloo, un boulet lui avait enlevé le bras droit, puis la paix l’avait transformé en secrétaire d’ambassade. Attaché à la fortune du duc de Wellington, dont il était devenu le neveu par alliance, il s’était mêlé tour à tour aux affaires militaires ou politiques dont cet homme d’état avait la direction. Peut-être dans une telle carrière et sous un tel chef était-il devenu plutôt administrateur ou diplomate qu’homme de guerre ; au moins est-il permis de supposer qu’il y avait pris l’esprit ponctuel et méthodique que donne à un militaire en temps de paix l’observation exacte des règlemens. On s’accorde assez volontiers à reconnaître que cette disposition d’esprit convient peu au général d’une armée en campagne, où l’uniformité ne sert guère, où l’imprévu a la part du lion. Au reste l’âge n’avait en rien affaibli ses facultés. Froid, mais affable, s’exprimant avec facilité en français aussi bien qu’en anglais, préparé par un long usage du monde aux relations délicates qui devaient s’établir entre deux généraux alliés et indépendans, il se tenait à cheval avec aisance au besoin une journée entière, et la manche flottante de son habit ne permettait pas d’oublier qu’il avait jadis vu de près les dangers de la bataille.

Les Anglais semblaient convaincus à cette époque que l’on ne pouvait être un bon officier qu’à la condition d’avoir été l’élève de Wellington. Sir John Burgoyne, qui était à la tête des ingénieurs militaires, avait, comme lord Raglan, fait les guerres de la Péninsule sous les ordres du grand capitaine anglais : mais il avait été plus fidèle à la carrière des armes que lord Raglan. En Sicile, en Égypte, en Suède, en Espagne, il avait paru partout où l’Angleterre envoyait des armées au commencement de ce siècle. Il avant figuré à Torres-Vedras, à Badajoz, à Burgos, à Saint-Sébastien, où il dirigeait