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Il n’y avait pas à en douter, les alliés avaient renoncé à attaquer Sébastopol par le nord ; ils venaient prendre position au midi, sur le plateau de la Chersonèse.

Ceci changeait du tout au tout le plan de la défense, Kornilof n’avait plus à craindre une attaque immédiate. Au contraire l’effort des alliés allait tomber sur la ville même et sur le faubourg de Karabel, dont Nachimof avait le commandement. Cet amiral, meilleur marin que soldat, était faiblement secondé par le général Müller. Les vices de l’organisation que Menchikof avait donnée à la garnison avant de partir apparaissaient déjà. Les trois officiers entre lesquels le commandement se partageait n’étaient forcés par rien de s’unir au moment du danger ; mais il y avait en eux du dévoûment et du patriotisme. Dès que Kornilof eut conscience du péril qui menaçait ses compagnons, il courut à eux, il les réunit en conseil pour prendre en commun les décisions que les circonstances imposaient. Nachimof et Müller manquaient d’énergie et d’assurance. Mettant de côté en ce moment solennel de vains préjugés d’amour-propre, ils offrirent à leur collègue le commandement suprême. Kornilof accepta sans se faire beaucoup prier et assuma la responsabilité d’un général en chef. Quand les Russes racontent l’admirable défense de Sébastopol, ils ne citent pas sans orgueil, et ils ont raison, cette rare et généreuse abnégation qui rendit l’unité de commandement à la garnison au moment du plus grand péril ; il n’en est pas moins curieux de voir ce grand arsenal, qui était alors le boulevard de la Russie, n’avoir d’autres chefs qu’un amiral et un ingénieur dépourvus tous deux de commissions régulières. Kornilof en effet était chef d’état-major de la flotte, et aurait dû en cette qualité résider à Nicolaïef et non à Sébastopol. En ce qui concerne le colonel de Todleben, il était venu avec une mission du prince Gortschakof ; depuis le commencement jusqu’à la fin du siège, il n’agit que comme simple volontaire.

Le mouvement tournant des alliés avait surpris la garnison, qui s’attendait à une attaque sur le côté nord de la rade depuis le jour du débarquement. Du côté du sud, on n’avait pas amélioré les défenses. A l’ouest, la ville était couverte par trois bastions que la disposition du terrain, rapidement incliné vers la mer, rendait d’un accès difficile. A l’est, c’est-à-dire en avant du faubourg de Kara-bel, il n’y avait que de faibles ouvrages en terre, et la tour Malakof, édifice en maçonnerie qui n’avait ni bastion ni chemin couvert. La ligne de crêtes à défendre présentait environ 7 kilomètres de développement. Elle était coupée en deux par un profond ravin dans le prolongement du port de Sébastopol, en sorte que les troupes ne pouvaient se porter rapidement d’un point à un autre. Les batteries n’avaient pas d’embrasures ; on tirait par-dessus le parapet, ce qui