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dans les autres garnisons de la presqu’île. De plus il y avait à Sébastopol deux escadres montées par 18,000 marins, et de 2,000 à 3,000 hommes de troupes locales attachées à la défense des fortifications ; enfin l’arsenal renfermait 5,000 ouvriers exercés aux travaux militaires et soumis à une discipline sévère. Ceux-ci n’étaient pas les auxiliaires les moins utiles pour une lutte où il s’agissait non-seulement de se battre, mais encore d’élever à la hâte de nouvelles fortifications ou de réparer les anciennes. Sébastopol d’ailleurs était riche en approvisionnemens de tout genre ; la flotte avait des vivres pour sept mois, les munitions étaient inépuisables ; sur les vaisseaux seulement, on comptait 1,900 pièces d’artillerie, presque toutes de fort calibre, et en outre on trouvait dans l’arsenal en outils et en machines tout ce que l’homme peut désirer de mieux pour aider et suppléer à la main-d’œuvre. Enfin de vastes hôpitaux complétaient cet admirable établissement militaire.

Le 13 septembre, vers neuf heures du matin, les vigies avaient signalé l’apparition d’une flotte ennemie qui se dirigeait vers la côte, au nord de Sébastopol. Les deux escadres russes de la Mer-Noire étaient rangées dans la rade, prêtes à mettre à la voile au premier signal. D’abord les vents furent contraires, puis le calme survint. La flotte russe était inférieure en nombre à celle des alliés, et surtout elle comptait beaucoup moins de bâtimens à vapeur. On n’osa l’exposer aux hasards d’un combat naval ; le débarquement des troupes anglo-françaises s’opéra donc sans obstacle. Cependant le prince Menchikof avait concentré son armée sur les hauteurs de l’Alma, où l’ennemi vint le chercher six jours après ; on sait quel fut le résultat de cette rencontre.

Il convient de dire ici entre quelles mains Menchikof avait laissé l’autorité à Sébastopol avant de s’éloigner. Un officier de l’armée de terre, le général Müller, commandait les 5,000 ou 6,000 hommes de garnison qui étaient restés dans la place. On doit croire que c’était un bon militaire ; mais il ne paraît pas qu’il eût les qualités d’un général en chef ni l’audace qui convient aux situations embarrassées ; au moins avait-il la modestie de s’effacer sans fausse prétention devant ceux dont il comprenait la supériorité. Une partie des marins de la flotte avait été mise à terre pour contribuer à la défense de la ville ; le vice-amiral Nachimof, l’un des deux chefs d’escadre, avait sous ses ordres tous les matelots cantonnés à Sébastopol et dans le faubourg de Karabel. Marin éprouvé, c’était lui qui commandait les vaisseaux russes à Sinope ; il faut convenir que cette victoire, chèrement achetée malgré la disproportion des forces, ne lui avait guère fait honneur. Nachimof avait, entre autres défauts, une défiance instinctive de lui-même ; il se voyait avec regret, lui homme de mer, appelé à opérer sur la terre ferme, dans un milieu qui ne