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offre plusieurs baies où le mouillage est bon. Les plus importantes de ces baies sont celle de Kamiesch, près du cap Chersonèse, et celle de Balaclava, près de l’endroit où le plateau se termine.

Or qu’avait-on préparé pour rendre Sébastopol imprenable depuis plus de vingt ans que le tsar en avait fait l’arsenal et le port militaire de la Mer-Noire ? Il semblerait que le gouvernement russe eût toujours considéré comme une chimère l’invasion de la Crimée par une armée ennemie, et qu’il n’ait eu de souci que pour les fronts de mer de la place. On s’était persuadé que la seule attaque à redouter était celle d’une escadre. La rade était protégée par de magnifiques bastions de pierre, à triple étage de batteries, échelonnés de distance en distance sur l’une et l’autre rive, de façon à faire converger tous leurs feux vers l’entrée. A l’époque où les navires cuirassés n’étaient pas encore inventés, il était permis de croire qu’un vaisseau ne passerait pas entre ces batteries sans être écrasé. Du côté de la terre, on avait à peine pris les précautions les plus élémentaires. Un fort couronnait la Severnaïa, mais il était en mauvais état ; au sud de la rade, on avait ébauché sur la colline de Malakof, devenue plus tard si fameuse, une tour en pierre d’assez médiocre ressource, et c’était tout. Il n’y avait guère que des marins à Sébastopol ; trop préoccupée de donner à la marine un développement excessif, l’amirauté s’était dit, paraît-il, que les vaisseaux, convenablement embossés près du rivage, comme des batteries flottantes, suffiraient à défendre la place contre l’ennemi, assurément peu redoutable, qui arriverait par les hauteurs. Les choses étaient encore en cet état à l’automne de 1853. Dès que la guerre eut été déclarée, on entreprit quelques ouvrages de campagne sur les plus importans des sommets qui couronnaient la ville.

Le prince Menchikof commandait alors toutes les forces de terre et de mer que le tsar avait en Crimée. On sait quel rôle avait joué à Constantinople, pendant les négociations qui précédèrent la guerre, ce personnage arrogant, petit-fils du garçon pâtissier que la faveur de Pierre le Grand et de Catherine avait élevé aux honneurs. Menchikof était tout à la fois général, grand-amiral et gouverneur d’une province. Hautain et présomptueux, il dédaignait de s’éclairer en consultant les officiers de son entourage. Animé d’une haine violente contre les Turcs, qu’il avait déjà combattus dans sa jeunesse, il détestait aussi les nations occidentales, et se flattait que la Russie, réduite à ses seules forces, suffirait à écraser l’ennemi. Il était venu à Constantinople l’insulte à la bouche, il en était sorti en proférant des menaces ; de retour au siège de son commandement, il se refusait à croire que les alliés auraient jamais l’audace de venir attaquer Sébastopol. Il avait sous ses ordres une armée de 50,000 soldats, dont 38,000 environ réunis autour de lui et le reste dispersé