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PIERRE QUI ROULE

DERNIÈRE PARTIE[1].

SUITE DE L’HISTOIRE DU BEAU LAURENCE.


Après avoir enseveli mon pauvre père, je partis pour la Normandie dans la situation d’esprit d’un homme qui voyage à la recherche des choses nouvelles pour se distraire d’un profond chagrin, nullement avec l’ivresse d’un pauvre diable qui a gagné à la loterie et qui va toucher son capital. J’avais gardé de ma première et unique visite à mon oncle un souvenir très maussade. Il ne m’avait pas bien accueilli, vous vous en souvenez, puisque vous vous souvenez de tout, et sa gouvernante m’avait regardé de travers. Je retrouvai le manoir tel qu’il l’avait laissé, c’est-à-dire en très bon état de réparation. Le vieux garçon était homme d’ordre, il ne manquait pas une ardoise à son toit, pas une pierre à ses murs ; mais l’ornementation intérieure était d’un goût détestable. Il y avait de l’or partout, du style nulle part. Comme on avait mis les scellés, et que jusqu’à sa dernière heure il avait été absolu et méfiant, sa gouvernante, qui ne le gouvernait pas autant que je l’avais supposé, n’avait pu se livrer au pillage. Je trouvai, outre un immeuble splendide, des fermages très productifs, des affaires très bien établies et de belles sommes en réserve. Je congédiai la gouvernante en la priant d’emporter les trois quarts du riche et affreux mobilier, et, cédant à une fantaisie d’artiste, à un irrésistible besoin de mettre de l’harmonie dans toutes les parties de ce monument d’un autre âge, je passai tout mon temps à m’installer avec goût, avec science,L

  1. Voyez la Revue du 15 juin, des 1er et 15 juillet et des 1er et 15 août.