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que soit le tableau, il faut qu’il ait son ombre. Elle doit disparaître pourtant dans les livres, rien n’y doit faire tache à l’image, modestement enluminée, de la vie où l’on se complaît. Il y a pour ce public nombreux et estimable toute une littérature, — si l’on peut lui donner ce nom, — que l’on a baptisée du sobriquet caractéristique de « romans de tricot. » Mme Wildermuth se place au premier rang parmi ces auteurs dont le réalisme sentimental répond bien à ce tour d’esprit toujours prêt à s’attendrir sur les objets les plus ordinaires. Elle ne se met point en frais d’invention la plupart du temps, et qu’en a-t-elle besoin ? Ce que l’on cherche dans ses récits, c’est la vie de tous les jours exactement décrite et discrètement glorifiée. L’auteur se borne à conter ce qu’il a vu ou appris sur sa route. Point d’égaremens, point de passions séduisantes ; la silhouette du vice, si on la montre par instans, n’apparaît que comme un épouvantail ; ce ne sont que vertus modestes et qualités intimes, mères excellentes qui préparent leurs filles à les imiter, pasteurs de campagne entourés d’enfans et bénissant tout le monde, mais avant tout le monde les bonnes ménagères.

Nous voilà parvenus au sol où repose, en pleine vulgarité, le pied de l’échelle mystique par où s’en vont jusqu’aux nuages les rêves des lectrices allemandes. Nous avons dû sauter par-dessus plus d’un degré et ne nous arrêter qu’aux lieux où l’atmosphère changeait. Nous avons été forcé d’omettre beaucoup de noms, Mme Paalzow, par exemple, dont les romans, historiques par le costume seulement, sont comme la contre-partie de ceux de Mme de Hahn, Mme Mühlbach, Mme de Bacharacht et d’autres encore. Notre objet était, non de les faire connaître toutes, mais seulement de donner par les angles les plus saiilans et les faces les plus colorées un aperçu de ce petit monde à part que forment chez nos voisins les femmes auteurs. Aucune d’elles, en définitive, ne peut être prise comme le représentant complet d’une classe particulière d’esprits. Sans doute et par certains côtés très marquans, elles se rattachent à des tendances et à des manières d’être fort répandues : c’est par là qu’elles plaisent et savent intéresser ; mais elles dénaturent le type en l’exagérant : qualités, défauts ou faiblesses, les élémens divers du tempérament ne sont point chez elles dans leur proportion naturelle. Elles accusent avec énergie plusieurs traits de la physionomie nationale, elles ouvrent sur le tour d’imagination de leurs lectrices un jour précieux ; on ne saurait trouver dans leur vie, non plus que dans leurs écrits, une image exacte de leurs compatriotes.

C’est ailleurs qu’il la faudrait chercher. On peut être Instruite sans pédanterie, sensible sans ridicule, honnête sans vulgarité ; il y a une sérénité d’âme qui n’étouffe point l’imagination, une