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singulièrement et relève sa mission. » Cette absence absolue de toute affectation vaine doit être notée ici ; c’est le trait le plus aimable et le plus marquant de Mlle Bremer. Les choses de la science et de la politique ne lui étaient point indifférentes ; mais elle n’y touchait guère que du côté pratique, et pour ainsi dire à travers le sentiment. Elle étudiait les questions sociales à la façon de Mme Beecher Stowe. Entourée d’hommages et de respects, elle s’éteignit en 1865, rare exemple d’une existence achevée et satisfaite. Avec un certain tour d’esprit tendre et rêveur qui est de son pays, elle rappelle à plus d’un égard Mme de Genlis ; mais elle est moins prêcheuse, sa morale est moins artificielle, plus poétique et plus vraie à la fois. Ce qui importe le plus enfin en ces matières d’exemple et d’enseignement, elle est toute dans ses livres et s’est montrée constamment d’une sincérité entière.

On place d’habitude auprès de Mlle Bremer un auteur qui s’adresse au même public et dont les ouvrages se rencontrent souvent à côté des siens sur l’étagère des jeunes filles, Mme Polko. Elle est moins bonne à lire, mais elle est lue davantage peut-être. Elle ne s’adresse qu’à l’imagination, et, sans l’entraîner bien loin, elle la mène hors du monde réel et la laisse là courir les aventures. Mme Polko s’est fait connaître surtout par des contes où elle présente sous une forme fantastique des épisodes de la vie des musiciens célèbres. L’histoire s’y mêle le plus singulièrement du monde à d’innocentes féeries ; Mme Polko s’inspire évidemment de certains récits d’Hoffmann ; mais ce qu’elle nous donne est de l’Hoffmann efféminé, où je ne sais quelles senteurs de parfumerie doucereuse remplacent les vapeurs du punch et l’acre fumée du tabac. La vie artiste a conservé en Allemagne tout son prestige romanesque ; Mme Polko l’entoure d’une auréole éthérée, tout y est gloire et pureté ; les têtes se montent et s’envolent à sa suite vers ces sphères aériennes où l’on vit d’idéal et d’adoration, où l’on souffre si poétiquement et soupire avec tant de grâce. Laissons ces jeunes esprits à leurs rêves enfantins. Voici venir le mariage, les enfans, tout le train domestique : le ciel s’abaisse peu à peu, l’éclat se décolore, l’air s’épaissit, l’horizon se rapproche, le cœur se resserre sur lui-même, et la folle du logis, bien enfermée maintenant, ne courra plus les chemins. « Le soleil, comme dit Jean Paul, ne sera plus qu’un gros poêle, la lune un globe pour le travail du soir, le Rhin un baquet à lessive. » On ne pense plus qu’à ses devoirs intimes, aux choses de la famille ; on n’a pas d’autre ambition que de les bien remplir, et ils font tout l’objet de l’entretien les jours où s’assemblent les amies communes autour de la « table à café. » La médisance y prend bien sa part ; l’on sait difficilement être content de soi sans blâmer les autres, et, si pâle