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Frederika était tracée maintenant, le reste de sa vie ne présente plus que le développement de son activité modeste et bienfaisante. Fidèle à ses premiers engagemens envers elle-même, elle ne se maria point. Elle avait un penchant d’indépendance solitaire qui ne s’accommodait point des obligations du ménage ; ses travaux l’absorbaient complètement. Elle trouvait d’ailleurs dans sa famille un refuge assuré, et des affections toujours prêtes à la soutenir.

Les lettres d’elle qu’on a publiées n’ont ni une grande valeur littéraire ni un intérêt bien piquant. Elle écrit le plus souvent à une de ses sœurs, l’entretient de ses travaux et de leurs affaires domestiques. C’est un intérieur honnête et intelligent qui s’ouvre au lecteur ; ces gens s’aiment et se le disent comme ils le sentent ; les chagrins qui les affligent sont les plus naturels, mais aussi les plus cruels de tous ; ils furent durement éprouvés de ce côté : Mlle Bremer vit emporter rapidement et disparaître plusieurs des siens. Elle acheva d’apprendre, ainsi de sa propre expérience ce rôle de consolatrice qu’elle s’était donné. Elle parle quelque part des lettres de Mme de Sévigné, qu’elle venait de lire. « Toutes les merveilles de cette plume enchantée, dit-elle, n’auraient pas suffi à soutenir l’intérêt sans ce mot : ma fille ! ma fille ! qui revient à chaque page et qui sort du cœur. » — Voilà bien la femme : artiste très incomplète assurément, un peu dédaigneuse même peut-être de la forme qui charme et préoccupée uniquement de ce qui touche ; ce sont de pareils mots souvent répétés qui sont tout l’attrait de sa correspondance. Sous ce rapport, ses lettres ont du prix. Elles nous montrent son âme en toute simplicité de nature, et nous font remonter à la source même de son talent honnête. Jamais écrivain ne fut à ce point sincère d’intentions et ne montra une conviction plus naïve et plus sympathique. « Ma jeunesse n’a pas été heureuse, écrit-elle ; c’était un temps d’amertume, mon plus grand vœu était de pouvoir mourir… Plus tard j’ai trouvé les moyens d’agir et de créer, et je remercie la vie, qui me paraît belle et bonne maintenant. » Elle ne se croit point une exception en ce monde, elle ne se figure pas que la crise qu’elle a subie lui soit particulière ; elle veut épargner aux autres une partie de la peine, les préserver des écarts où elle sent qu’elle aurait pu tomber, leur faciliter le chemin qui l’a conduite au repos. Elle n’imagine point de meilleur remède que celui qui l’a guérie : « faire le bien, qui nous montre la vie en rose. » Il n’y a point de bonheur durable en dehors des affections permises, les vertus domestiques ont aussi leur poésie, voilà tout le fond de sa morale et le sens de ses ouvrages, Il Représenter ce que la vie de famille a d’attachant et de solide, comme elle peut soutenir l’homme en toute circonstance, c’est, dit-elle, avec la peinture de quelques originaux, la tâche que je me suis imposée. »