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amour venait à se réveiller. Il devrait être sacrifié au devoir, mais au prix de quelles angoisses ! Le faire voir, n’est-ce pas condamner de tels mariages ? Voilà la situation trouvée et le cadre tracé ? c’est à peine si Mme Lewald y place pour mémoire l’image, de l’homme qui avait si longtemps occupé sa pensée. Ce qui l’entraîne et l’exalte en effet, c’est bien moins cette œuvre de souvenirs que l’exposition de ses idées sur l’amour et le mariage. « Il me semblait, dit-elle, accomplir une action, lutter dans un combat pour la liberté… Mon cœur battait de transport, c’était pour moi comme une confession de foi. » Et cette confession de foi écrite avec une surexcitation si grande, — Mme Lewald assure qu’elle en devint malade, — ne contient guère, à vrai dire, que des doléances banales et des vérités de sens commun. Il n’est point oiseux sans doute de les répéter, mais pourquoi ne les avoir point énoncées tout simplement ? Elles auraient coûté moins de fatigue à l’auteur, et le public les entendrait mieux. Des questions analogues sont débattues dans un des récits qui suivirent, Eine Lebensaufgabe, et le morceau que Mme Lewald paraît avoir le plus soigné dans cet ouvrage, c’est un dialogue sur l’interprétation qu’il convient de donner au fameux roman les Affinités électives, dissertation qui renchérit encore sur cette œuvre abstraite et quintessenciée où le génie de Goethe s’égare trop souvent loin de cette réalité qu’il pénétrait si bien, et qui le renouvela tant de fois.

Parcourez les romans de Mme Lewald, et vous verrez les pensées qu’elle y développe se déduire de la même façon de l’expérience de sa vie. Ici, c’est la condition des Juifs, la revendication de leurs droits, la réhabilitation de leur caractère ; Mme Lewald s’en occupe souvent, elle en fait l’objet de maint épisode, elle y a consacré un livre tout entier, Jenny. Ailleurs, et c’est le cas le plus fréquent, le drame surgit du conflit des classes et de l’opposition des tendances démocratiques avec les anciens préjugés et les vieilles mœurs, comme, par exemple, dans le roman de tendance sociale et d’allure réaliste intitulé la Femme de chambre. La muse laborieuse de Mme Lewald ne s’est pas renfermée toutefois dans ces travaux à longue portée, elle est descendue un jour jusqu’à la plaisanterie, et nous a donné sous le titre de Diogena une parodie des romans de la comtesse de Hahn. Le livre, on le -conçoit, fit grand tapage quand il parut ; il est un peu oublié déjà : à vrai dire, il ne révélait rien de nouveau sur le talent de l’auteur.

Si patientes et si curieuses d’exaltations subtiles que soient les lectrices allemandes, les qualités littéraires, de Mme Lewald ne sont point de nature à expliquer la vogue dont elle jouit. Il n’en faut pas non plus chercher les motifs dans les airs d’esprit fort dont elle se targue. Ces éclats de libre pensée n’éveillent que de rares échos.