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lettres de Simon en effet devenaient plus rares ; on évitait de parler de lui devant Fanny ; à la fin, l’anxiété fut trop forte ; elle écrivit à son cousin. La réponse ne se fit point attendre et révéla à Fanny toute l’étendue de son désastre. Simon aimait une autre femme, la comtesse Hahn ; « il l’aimait avec la passion la plus vive, et il s’était séparé d’elle pour ne point lui sacrifier ce qu’il avait de meilleur. » Fanny tomba dans une douleur violente, et les pages où elle la dépeint sont les plus éloquentes de son livre. Elle fit effort sur elle-même cependant, elle cacha son chagrin d’abord, et finit par le vaincre. Elle se dit que c’était presque un crime de s’abandonner ainsi à un désespoir stérile, et peu à peu la vie remonta en elle ; mais qu’allait-elle devenir maintenant ? Elle pensait à l’avenir et s’en effrayait. Ses idées sur le mariage n’avaient pas changé ; elle ne pouvait attendre de son père la fortune nécessaire pour assurer sa vie. Elle avait déjà réfléchi aux moyens de se suffire à elle-même, elle y réfléchit plus souvent, cédant en cela à un secret désir d’indépendance que le temps développait en elle. De tous les plans d’existence qu’elle esquissait alors, celui d’une vie artiste, fière et glorieuse peut-être, la séduisait par-dessus tout. Elle palpitait à l’idée qu’elle pourrait avoir du talent ; mais elle venait se heurter à toute sorte de préjugés mesquins qui l’arrêtaient, te travail auquel elle rêvait de se livrer, elle voulait s’en faire gloire ; on le considérait autour d’elle comme une sorte de déchéance. On aurait approuvé un mariage de raison qui eût garanti son bien-être ; on ne comprenait point qu’elle recherchât une profession qui la rendrait libre. Elle s’était déjà cependant essayée à écrire, soutenue en cela par son parent, le littérateur Auguste Lewald. Sur le conseil de celui-ci, elle composa une nouvelle. L’ouvrage fut imprimé aussitôt, et Fanny en reçut le prix avec les encouragemens les plus vifs. Cette lettre d’Auguste Lewald devait lever les derniers scrupules du père de Fanny, assez peu favorable à sa vocation jusque-là. Elle s’en alla, tout enthousiasmée, la lui montrer. Il était seul et prenait son repas du matin ; mais laissons parler Mme Lewald, la scène est assez curieuse pour qu’on la rapporte.


« Ainsi, dit-il, tu penses à entreprendre un travail plus considérable ? Tu veux devenir écrivain ? — Si tu n’y fais d’objection, mon cher père, je le veux certainement. — Il haussa légèrement les épaules, c’était son geste lorsqu’il se résignait à une chose qui ne lui plaisait point. J’en eus de la peine. — Considère, cher père, repris-je en insistant, que je n’ai point coutume de faire les choses à demi. — Qu’entends-tu par là ? demanda-t-il d’un ton bref et sérieux. — Je pense que, si je me mets au travail, je laisse les gants glacés et prends la chose d’une main ferme. Si j’écris, je dois pouvoir dire ce que je pense et comme il me