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qui poussa l’un vers l’autre ces deux grands cœurs pour les séparer aussitôt avec non moins de violence. Il s’appelait Henri Simon ! » Celui qui ouvrirait le roman de Cyrus sans connaître l’hôtel Rambouillet n’y verrait que le fatigant et vain labeur d’un esprit subtil ; pourtant on a parlé, on a senti comme font les personnages de Mlle de Scudéri. Il faut ici de même ménager l’étonnement et retenir la raillerie. Il y a tout un public en Allemagne qui a pris Mme de Hahn au sérieux, qui s’est cherché dans ses ouvrages, et y a trouvé son idéal. Donnons donc en passant un regard au petit monde où vivait la comtesse, et, puisque des révélations piquantes nous le permettent, étudions, sur ces « portraits d’après nature, » les originaux dont le roman plus tard fera ses héros.

Le nom de Henri Simon ne saurait suffire aux lecteurs français, et il leur faut dire un mot de sa personne. Son existence courte, renfermée dans les travaux économiques jusqu’aux approches de 1848, traversée alors d’un éclat soudain, puis assombrie par l’exil et brisée prématurément par la mort, a laissé une trace profonde dans la mémoire des démocrates allemands. Une auréole romanesque entoure ces souvenirs. Simon eut le rare privilège d’émouvoir presque en même temps le cœur des deux femmes les plus célèbres de son pays ; il ne joue pas un moindre rôle dans l’existence de Mme Lewald que dans celle de la comtesse Hahn. Il nous apparaît comme une sorte de girondin romantique, imbu de lord Byron autant que de Plutarque. Sous une apparence froide, il cachait une âme énergique et passionnée. Il avait coutume de dire : « Si le chemin de la vérité doit passer à travers mon cœur, que mon cœur se déchire. » Un duel malheureux dans lequel il tua son adversaire avait jeté sur son esprit une teinte de mélancolie. Il portait ainsi au naturel ce masque fatal et sombre qui était une des élégances d’alors. Il venait d’être nommé assesseur au tribunal de Greifswald quand Mme de Hahn vint retrouver sa mère, établie dans cette ville. Simon avait alors trente et un ans, l’âge même de la comtesse.

Ils se trouvèrent souvent réunis, et bientôt s’engagea entre eux un commerce d’admiration et un assaut d’enthousiasme auquel la passion ne tarda point à se mêler. « Par pitié, écrivait-il à la comtesse, ne soyez pas si aimable ; cela passe la permission, et vous en devrez un jour rendre un compte sévère. » Il la comparait au palmier. « Au palmier, répliquait-elle aussitôt, qui voudrait toucher le ciel et s’étiole au désert. — Je sais bien, lui disait-elle encore, qu’il y a mille femmes plus belles que moi et plus habiles, quelques-unes meilleures ; mais pour ce qui est du cœur et de l’imagination, je cherche en vain mon égale. J’en parle à mon aise, car je ne me suis pas formée moi-même, je suis élite ainsi. » Elle tenait