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La dernière note du Journal est du 10 juillet 1720. Mistress Wake, la femme de l’archevêque de Cantorbéry, est venue prendre congé de la princesse, qui lui parle devant lady Cowper des conséquences probables de la réconciliation, — un vrai replâtrage, comme l’événement le prouva, — survenue entre les membres de la famille royale. — Nous aurons certainement nos enfans, dit son altesse, et les ministres nous font entrevoir la régence ; mais, à vous parler franchement, chère mistress Wake, je gagerais mon nez que nous ne l’obtiendrons point. — En ce moment même, continue lady Cowper, j’étais en train de la déganter. — Ah ! certes, madame, no pus-je m’empêcher de lui dire, votre altesse aurait bien trente nez au lieu d’un qu’elle pourrait les mettre tous au jeu sans le moindre péril…


Cette date du 10 juillet 1720 nous reporte au moment où la fièvre de spéculation qui marqua cette mémorable année annonçait par ses redoublemens une crise imminente. Le prince de Galles y était engagé comme les autres. On parlait des pertes considérables de lord Sunderland, tandis que Walpole, joueur plus prudent, réalisait des bénéfices considérables. De fort grands seigneurs (le duc de Portland, lord Lonsdale, etc.) en étaient réduits, pour réparer les désastres de leur mauvaise fortune, à solliciter des gouvernemens aux colonies. Le désordre, la confusion, étaient partout. Partout on commençait à récriminer contre les auteurs de ce plan chimérique, auquel le peuple anglais, malgré le bon sens pratique dont il se targue si volontiers, s’était tout aussi bien laissé prendre que la France du régent et de Law. Sunderland, Aislabie, Craggs, comme agens de la trésorerie et membres actifs de l’administration, sir John Blunt comme promoteur des opérations qui menaçaient de tourner si mal, les maîtresses du roi, soupçonnées d’avoir touché des sommes énormes, allaient devenir les plastrons de l’indignation publique. George Ier, reparti pour son électoral, voyait avec son flegme habituel commencer l’orage qui le rappela soudainement en Angleterre au mois de novembre suivant. Du sein de cet orage sortit la fortune ministérielle de Robert Walpole. Le Journal de lady Cowper nous l’a montré s’insinuant dans la faveur du prince et surtout de la princesse de Galles, amenant entre eux et leur père un vain simulacre de réconciliation auquel ni les uns ni les autres n’avaient confiance, rentrant ainsi par la petite porte des intrigues de cour dans le maniement des affaires publiques, qu’un moment d’humeur lui avait fait abandonner, et où la mort prochaine de lord Stanhope, suivis de près par celle de lord Sunderland, allait lui donner pour bien des années une incontestable suprématie.