Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

29 février. — J’ai eu pour convives M. et Mme Robethon, lady Powlett et Mme de Gouvernet (la plus aimable sexagénaire du monde). M. Robethon m’a chargée de proposer à mylord d’échanger sa place de chancelier contre celle de président du conseil ; j’ai dû lui communiquer cette proposition ; mylord refuse positivement. Il est prêt à quitter la partie, si ses collègues le désirent, mais ne veut aucunement admettre que ses fonctions actuelles soient changées. M. Robethon me prie d’insister, l’affaire étant ainsi arrangée, à ce qu’il assure, par les puissances du moment.

1er mars. — Je suis allée souhaiter sa fête à la princesse, qui est pour moi la meilleure des maîtresses et la plus charmante amie. Elle m’apprend que M. de Bernstorff est venu pratiquer le prince pour lui faire agréer la nomination de lord Cowper à la présidence du conseil ; le prince a nettement refusé de s’en mêler autrement que sur l’exprès désir de mylord. En remerciant le prince, je n’ai pas manqué de lui répéter la réponse de mon mari aux ouvertures de M. Robethon.

10 mars. — J’ai été retenue à souper chez la princesse, où la duchesse de Monmouth[1] nous a raconté force détails sur la cour de Charles II et sur la mort de ce prince. Il résulte de ces anecdotes que la duchesse de Portsmouth abusait étrangement la princesse en se targuant devant elle, ces jours-ci, de l’amitié que lui portait la reine Catherine, et des soins que cette indulgente personne avait pris en certaine occasion pour conjurer une fausse couche dont sa rivale était menacée. La duchesse de Monmouth traite tout cela de contes, et déclare que sa majesté déguisait à peine, sous les formes voulues, le mépris que lui inspirait la maîtresse donnée par la France. Celle-ci était à ce point dépourvue de toute clairvoyance que l’intrigue du roi Charles et de la duchesse de Mazarin, connue de tous et de chacun, demeura longtemps un secret pour elle. Quand elle eut fini par s’en apercevoir, elle allait partout se plaignant qu’on lui préférât « une femme sans beauté comme sans esprit. » Ainsi lui plaisait-il d’en juger.

Le roi, très las d’elle, la supportait par habitude et aussi à cause du crédit qu’elle trouvait à la cour de France, dont elle était l’instrument. A l’appui de ceci, la duchesse de Monmouth nous citait le langage tenu par ce prince dans la chambre même de sa maîtresse un jour où, les médecins ayant déclaré qu’il lui restait à peine une demi-heure de vie, elle avait envoyé chercher son royal amant pour prendre congé de lui et recommander leur fils à sa protection. Un des seigneurs de la cour s’approcha de la fenêtre, où le

  1. L’héritière de Buccleugh, qu’on avait mariée à quatorze ans avec le duc de Monmouth, épousa, trois ans après avoir vu périr sur l’échafaud ce premier mari, le troisième lord Cornwallis.