Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

développement graduel, très naïvement, très involontairement exposé, d’un caractère complexe aux prises avec une situation particulière. La grande dame anglaise, la femme de cour chez nos voisins au commencement du siècle dernier, voilà surtout l’objet qui sollicitait notre curiosité et qui peut-être sera jugé digne de quelque intérêt. Les circonstances qui mettent en relief la simplicité, la droiture de cette femme d’élite épousée par amour, ne sont probablement pas assez romanesques pour les esprits blasés auxquels les péripéties d’une intrigue violente peuvent seules communiquer une certaine émotion ; cependant une intelligence amoureuse du vrai pourra sans doute se complaire dans l’analyse des détails qui lui font connaître à fond, en même temps que la personne même de lady Cowper, le milieu brillant où le sort l’avait placée, les difficultés de tout genre quelle rencontra sur son chemin, les périls assez sérieux contre lesquels il lui fallut se tenir en garde. Il demeure évident que sa remarquable beauté avait frappé le roi George Ier, jusqu’alors assez mal partagé sous ce rapport, et à qui l’opinion publique, par un bizarre caprice, faisait en quelque sorte un blâme de tout ce qui manquait à ses favorites allemandes. Le prince de Galles lui-même, fort peu recommandable par sa fidélité conjugale, et qui s’attacha très sérieusement à une femme infiniment moins séduisante que ne devait l’être lady Cowper, avait pour celle-ci, non peut-être un penchant décidé, mais une bonne volonté d’affection qui se traduisait quelquefois par de singulières et très caressantes effusions. La moindre coquetterie, — j’entends de celles que s’interdisent les femmes sérieusement et absolument irréprochables, — eût donc mis le monarque ou l’héritier présomptif de la couronne aux pieds de la femme du lord-chancelier. La faveur déclarée de l’un ou de l’autre, exploitée selon les us et coutumes du temps par une personne aussi au courant des affaires politiques, pouvait devenir une puissance durable, et qui, dans les idées alors reçues, eût trouvé plus de courtisans que de détracteurs. Les « bons conseils » en ce sens, les insinuations tentatrices, ne manquèrent pas à la dame du palais ; ils la trouvèrent sourde et bien résolue à ne pas déchoir dans sa propre estime. Et cependant, — si la tentation n’était pas bien pressante sous certains rapports malgré le prestige du rang et le reflet de la royauté, — de puissantes considérations eussent milité en faveur d’un parti-pris moins sévère, ne fût-ce que l’agrandissement de la famille, l’accroissement d’un crédit déjà fondé, la perspective d’un premier rôle dans la politique du temps. Convenons qu’il y avait là sujet à réflexion et à lutte intérieure, surtout quand une disgrâce imméritée vint atteindre lord Cowper, et quand ses désaccords avec ses collègues semblèrent rendre imminente la