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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 août 1869.

La tyrannie des souvenirs classiques, des lieux communs et de l’habitude nous aveugle dans nos jugemens et dans nos idées politiques. Quand on redirait encore avec mauvaise humeur que la France est légère et mobile, quand nous autres Gaulois, fils de Gaulois, nous répèterions sans cesse le vieux mot du dédaigneux Romain qui nous a conquis il y a bientôt deux mille ans, en serions-nous plus avancés pour nos affaires présentes ? Nous faisions involontairement cette réflexion l’autre jour à la lecture du rapport de M. Devienne sur le sénatus-consulte, qui va enfin être discuté. Ce magistrat distingué, qui a remplacé M. Troplong comme président de la cour de cassation et qui lui succède aujourd’hui comme rapporteur des actes constitutionnels du sénat, s’est cru sans doute obligé de faire honneur à son prédécesseur en lui empruntant quelques-unes des fleurs classiques dont il avait l’habitude de parsemer ses rapports ; il n’a pu résister à la tentation d’appeler César en témoignage du caractère des Français : quod sunt in consiliis capiendis mobiles et novis plerumque rébus student… C’est entendu, ce n’est guère que pour la cent millième fois qu’on nous le dit. Bien des jugemens différent, il est vrai, ont cours sur cette malheureuse France, à qui on n’épargne pas la torture des définitions banales dès qu’on peut la mettre sur la sellette. Pour les uns, c’est une logicienne effrénée qui court après l’absolu ; pour les autres, elle est inconséquente et ne sait jamais ce qu’elle veut ; ceux ci la trouvent ingouvernable, ceux-là pensent qu’elle est à qui veut la prendre. La France réunit toutes les mobilités, toutes les contradictions, toutes les inconséquences. Eh bien ! non, elle n’est ni aussi dupe de sa logique qu’on le dit, ni aussi inconséquente qu’on voudrait le faire croire, ni aussi mobile qu’on le soutient. Ce sont ceux qui ne savent pas la conduire, qui prétendent l’enchaîner à leur dicta-