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croches où il n’y en a pas. Et quelle délicatesse de goût, quelle science des registres, quelle manière de nuancer dans l’éclat comme dans le voilé, dans les élancemens d’ivresse comme dans l’expression de la douleur !

C’est surtout à la cantatrice que j’adresse ici mon admiration absolue, à la cantatrice des airs, des duos, des ensembles, car, pour ce qui regarde les récits, j’aurais à faire mes réserves. On oublie trop Mlle Battu, la seule qui ait donné à cette partie du rôle toute l’importance qu’elle revendique. Mme Carvalho ne se préoccupe point du personnage, sa physionomie manque de caractère, sa voix parlée d’autorité ; c’est mince ; étriqué, nul relief dans cette élocution, aucun écho de ce sentiment « profond, mystérieux, » si vigoureusement exprimé par la musique. Plus tard, pendant tout son dialogue avec Arnold, même absence de conviction, il semble qu’elle ignore ce que cet entretien musical a de sublime, et que l’âme de la cantatrice attende la ritournelle pour se réveiller. Lorsqu’à cet amant éperdu qui l’interroge elle répond : Restez ! son geste et sa voix ont l’air d’obéir moins à la passion qu’à un mouvement de politesse indifférente qui pourrait se traduire par ces mots : restez, si cela vous convient, c’est votre affaire ; quant à moi, j’attends ma réplique ; voici le duo, attention ! — Et le duo va son train, un peu forcé au début, un peu tendu, puis tout à-coup se modérant vers le milieu, se résolvant en un soupir d’amour qui délicieusement vous pénètre. C’est une oasis que cet adagio ; on s’y repose, on s’y oublie, on n’en voudrait plus sortir. « Doux moment » en effet que celui où dans la plus enivrante des mélodies se rencontrent et s’enlacent ces deux voix pleines de caresses !

Qu’était-ce il y a six mois que M. Colin ? Un jeune échappé du Conservatoire auquel on hésitait à confier un rôle secondaire. Dans Hamlet, il chanta Laërte et fit plaisir. Restait à savoir ce que deviendrait sous l’effort de toute une soirée cette voix d’un timbre enchanteur, mais blanche et d’une qualité juvénile. L’épreuve fut tentée lors de la dernière reprise des Huguenots. M. Villaret se trouvant empêché, M. Colin, à l’improviste, prit sa place, et en quelques heures il était lancé. Qui chante Raoul peut et doit aborder Arnold : nouveau succès dépassant de beaucoup le premier, et tout à fait rassurant pour l’avenir du jeune ténor. Il va sans dire que notre enthousiasme ne franchira pas certaines bornes. Nous ne parlerons, si vous voulez, ni de Nourrit, ni de Duprez ; mais à défaut du grand art et de la grande voix, il y a le charme, une qualité qui pourtant a son mérite, et dont on avait trop perdu l’habitude à l’Opéra sous le règne des jeunes premiers pansus et pléthoriques. M. Colin est un ténor svelte ; le malheur veut que cet avantage si rare ne serve qu’à la liberté de ses mouvemens et n’aide en rien à l’élégance, à la distinction de sa personne, il a le geste incertain, souvent gauche,