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donné au duc de Somerset[1]. Je lui dis, comme répétant un bruit assez généralement répandu, qu’on s’attendait à le voir sous peu de temps remplacé par le duc de Newcastle, et je constatai que cette prévision lui plaisait assez peu, d’où je conclus à part moi qu’elle n’était pas sans fondement. Sur le point de s’en aller, il me dit : — Mylord est beaucoup trop vif, et vous êtes de votre côté beaucoup trop vive. Les ministres se plaignent fort du chancelier. Ils l’accusent de leur reprocher trop souvent les fautes qu’ils ont pu commettre. — Je suis fâchée, monsieur, lui répondis-je, que vous puissiez croire cela. Notre but, à mylord et à moi, c’est de bien servir sa majesté. Il reprit alors : — Je vous répète que vous êtes trop vifs tous les deux. Croyez-moi, cela ne vaut rien ; cela tourne toujours en ruine… — Puis, craignant peut-être que je n’eusse pas bien saisi le sens de ces dernières paroles : — Je vous dis, recommença-t-il avec une grande violence, que cela tourne toujours en ruine. — On peut aisément se figurer quel effet ces expressions si peu mesurées produisirent sur moi. Au fait, je ne crois pas qu’une lady, ayant du pain à manger, ait jamais été à si petite occasion traitée avec un pareil sans-gêne ; mais je savais d’où nous venait tout cela, et je vis bien que nos ennemis prenaient peu à peu l’ascendant. Les membres du cabinet sont jaloux de la grande réputation que mylord a su mériter. Ils ne demanderaient pas mieux que de l’évincer, et, comme justement ils le savent dans un état de santé fort précaire, ils vont de tous côtés s’apitoyant à grand bruit sur cette maladie « qui le met, disent-ils, hors d’état de supporter la fatigue de la vie officielle. » Ils sont déjà convenus entre eux de le remplacer par le lord chief justice Parker[2].

Quelques jours après mon entrevue avec Bernstorff, le prince et la princesse, que j’allais voir à l’occasion d’un anniversaire, me témoignèrent les meilleures dispositions. Après mille choses flatteuses sur le compte de mon mari, le prince me chargea de lui dire qu’il ne fallait pas prendre les choses trop à cœur. — Si je ne l’avais pas regardé comme un courtisan émérite, ajouta son altesse, je lui aurais appris, d’après ma propre expérience, comment il faut se conduire avec mon père, lorsqu’on lui voit faire fausse route. On tâche d’empêcher le mal ; mais, si on n’est pas écouté, on accepte avec un calme parfait le déboire et la contrariété. Dites de plus

  1. Le duc de Somerset avait pour gendre sir William Wyndham, un des six moindres jacobites dont Stanhope avait demandé l’arrestation. Il offrit en plein conseil privé sa garantie personnelle en échange de la liberté qu’on laisserait à Wyndham. Les ministres refusèrent, et le duc, déjà personnellement brouillé avec eux, ne voulut pas rester leur collègue.
  2. Depuis comte de Macclesfield. Ce fut lui en effet qui remplaça lord Cowper en 1718. Dans les différends du roi et de ses enfans, il fut toujours contre ces derniers, qui plus tard s’en souvinrent et s’en vengèrent de leur mieux.