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trouva aisément accès parmi les whigs, et fréquenta tout spécialement la maison de lady Mohun[1] , qui réunissait volontiers les libertins du parti. On ne peut douter que notre espionne, en pareille compagnie, ait fait bien du mal, et de plus d’une manière.

17 décembre. — J’ai mandé M. de Bernstorff, qui m’avait fait promettre de le prévenir, si jamais mistress Oglethorpe était recommandée à ma princesse ; j’avais aussi à lui parler de mistress Kirk, présentée pour femme de chambre par la duchesse de Saint-Albans. Je lui ai fait connaître ces deux créatures. Je lui ai raconté comment mistress Kirk avait conduit toute l’intrigue entre lady Mary Vere et le duc d’Ormond, et pris soin de l’enfant qui en était résulté, qu’elle était mêlée à toutes les secrètes affaires des Oxford, que personnellement elle avait été la maîtresse du duc de Somerset. Bernstorff a pris note de tout, et m’a promis de communiquer ces renseignemens à qui de droit.

Peut-être ceux qui liront ces lignes s’étonneront-ils, m’ayant connue, de me voir si peu charitable à l’égard de mon prochain ; mais par le fait j’aurais pu dire pis de mistress Kirk, s’il m’eût paru convenable de faire entrer en ligne de compte mes griefs personnels. Et comme je n’ai de ma vie abordé ce sujet avec qui que ce soit au monde, il n’est peut-être pas hors de propos que je consigne ici, pour mémoire, ce que cette femme avait entrepris contre moi, tout en remerciant Dieu d’avoir échappé aux pièges qui m’étaient tendus par elle au profit d’une indigne rivale.

Mylord se trouvant déjà veuf à l’époque où la feue reine lui confia les sceaux, il n’est pas surprenant que plus d’une jeune personne ait ambitionné de s’unir à lui. Aucune toutefois ne rechercha ce mariage avec autant de suite et d’artifice que lady Harriet Vere, à qui sa fortune plus que médiocre et sa réputation plus qu’endommagée ne laissaient pas grand’chose à perdre dans de pareilles poursuites, quel qu’en pût être le résultat. Par mistress Morley, sa parente, elle avait sondé le terrain, et l’inutilité de ces premières avances lui donna immédiatement à penser que lord Cowper avait ailleurs des engagemens déjà pris. — Un espion fut mis sur la piste, et sut bientôt que mylord louait du côté de Hammersmith une maison de campagne où il passait constamment la nuit. Informations prises à ce sujet, on découvrit que j’étais cause de la froideur avec laquelle étaient accueillies les avances de lady Harriet. Aussitôt, sous des noms supposés, cette demoiselle et mistress Kirk, sa digne inspiratrice, établirent une correspondance avec mylord. Leurs lettres étaient apportées par un émissaire

  1. Seconde femme de ce lord Mohun qui avait péri en 1712 dans un duel avec le duc d’Hamilton.