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arrivais, un messager de lord Halifax m’est venu avertir que, ayant eu occasion de faire savoir au roi par Robethon que la place à laquelle sa majesté voulait pourvoir m’avait été destinée, notre gracieux souverain se déciderait en toute connaissance de cause. M. de Bernstorff est venu le soir m’apporter la commission, dont le roi n’a plus voulu disposer autrement dès qu’il a su pour qui elle avait été primitivement signée. « Laissez-la-lui, je n’y veux pas toucher ; elle l’aura, elle l’aura,.. » telles sont les paroles obligeantes dont il s’est servi à mon occasion, et dont je lui suis plus reconnaissante que de la faveur elle-même. Mes parens, eux, préféreraient sans doute un supplément de dix livres sterling à toutes les courtoisies imaginables.

6 décembre. — Après avoir dit à la princesse combien j’étais pénétrée des bontés qu’on avait pour moi, je suis allée remercier le roi au drawing-room. L’appartement étant chauffé outre mesure, et mes porteurs de chaise ne se trouvant pas là au moment où je sortais, j’ai attrapé un bon rhume. Soupé chez Mme de Montandre[1] avec lady Dorchester, Mme de Kielmansegge et l’ambassadrice de Venise, Mme Tron[2]. M. Methuen[3], le seul homme présent, faisait les yeux doux à Mme de Kielmansegge. Vers la fin du repas, une lettre est remise à Mme Tron. C’est monsieur son mari qui lui enjoint de rentrer au plus vite : le bonhomme est un jaloux de la vieille école. Elle au contraire, charmée de se trouver en pays libre, veut adopter nos usages et vivre comme tout le monde. De cette diversité d’opinions, il résulte qu’elle est souvent grondée et parfois battue, si la chronique dit vrai, Ce dernier point la désoblige, mais de tout le reste elle n’a cure, et on l’a surnommée la Beauté sans souci.

8 décembre. — Bernstorff est venu se plaindre à moi de lord Halifax, de l’orgueil insupportable qu’il déploie vis-à-vis de ses collègues (lesquels lui donnent bien quelque sujet de plainte par la manière dont quelques-uns d’entre eux disposent sans égard pour lui des places et emplois publics), ainsi que de ses accointances familières avec lord Oxford (il nie la chose) ; on voudrait aussi qu’il se prêtât à éteindre toutes les anciennes querelles, et il le promet. Pour établir ses bons rapports avec lord Oxford, on n’a qu’un seul fait à invoquer, c’est que le tout-puissant ministre n’a pas encore dépouillé lord Dupplin d’une place promise à mylord Nottingham pour son gendre, sir Roger Mostyn. Lord Halifax motive ses refus sur ce que sir Roger doit des comptes au gouvernement, comptes dont on presse autant que possible la liquidation.

  1. Femme d’un La Rochefoucauld qui, passant en Angleterre avec Guillaume III, servit avec honneur dans les guerres de ce règne et aussi dans celles du temps de la reine Anne.
  2. Il y a un palais de ce nom à Venise.
  3. Fils du négociateur auquel on doit le fameux traité avec le Portugal.