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II

Imprévue, et pourquoi donc ? Fallait-il beaucoup s’étonner que des princes comme ceux-ci fussent peu sensibles à une bouffée d’encens poétique, et restassent étrangers au mouvement littéraire de leur époque ? Au fait et au prendre, que leur importaient Congrève, le bel esprit, et les flatteries ingénieuses par lesquelles il s’efforçait de les grandir ? Autres étaient leurs soucis. Présidant à l’immense curée de places et d’emplois lucratifs qui était devenue la grande affaire du moment, ils n’avaient au fond qu’une préoccupation, celle d’associer leur intérêt personnel ou dynastique aux ambitions fébriles qui se manifestaient autour d’eux. Chaque page du journal de lady Cowper porte témoignage de ces odieux trafics auxquels se livraient avec une effronterie naïve les favoris et les favorites. Elle s’en indigne et s’en moque, suivant l’humeur du moment ; mais ensuite, presque à son insu, elle s’abandonne au train général des choses, et sans se croire inconséquente, rassurée par son désintéressement personnel, on la voit céder aux sollicitations qui la pressent, et briguer, elle aussi, pour les siens tel ou tel lambeau de la riche proie que se partagent sous ses yeux les limiers de la meute hanovrienne. C’est en ce sens qu’on peut rapprocher et mettre en regard diverses notes de ce curieux journal, laissant pour cette fois de côté l’ordre rigoureux des dates.

Le colonel Burgess est nommé gouverneur de la Nouvelle-Angleterre. À ces populations encore empreintes du puritanisme originel, on envoie un maître perdu de mœurs, fanfaron de vices, « blasphémateur bruyant, » et deux fois traduit devant les tribunaux comme accusé d’homicide. Lord Cowper charge sa femme de faire comprendre à M. de Bernstorff quel scandale va résulter d’un choix si déplorable ; mais Burgess s’est assuré des protections influentes, sa nomination est maintenue, et, pour parer le coup, l’agent de la colonie est contraint de lui payer sa démission, qui coûta mille livres sterling aux braves puritains du Massachusetts.

Le père de Bolingbroke, sir H. Saint-John, négocie pour être pair. Cette intrigue contrarie les whigs et gêne la poursuite qu’ils dirigent en ce moment même contre l’ex-ministre de la reine Anne. Lady Cowper est encore chargée de faire échouer une mesure si manifestement inopportune ; mais elle se sent vaincue d’avance, « les profits de l’affaire étant, dit-elle, dévolus à M. de Bothmar, qui n’y renoncera certainement pas. »

Voici un affligé qui vient l’entretenir de ses griefs. C’est M. Benson, à qui on enlève ses fonctions au bureau du commerce pour