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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

principe générateur, que l’école matérialiste appelle aujourd’hui la force, reste encore distinct de la matière, et la transformation progressive des espèces ne rend point raison de l’origine des premières espèces qui, pour arriver à leur état actuel, ont eu besoin d’être progressivement transformées. Des savans ont aussi voulu expliquer le système général du monde par une série de mouvemens ; c’est Leibniz, si je ne me trompe, qui leur disait : « Oui, mais qu’est-ce qui a donné la première chiquenaude ? »

En présence de ces doctrines diverses, d’une part les générations spontanées et la transformation des espèces, de l’autre la création et la puissance surnaturelle du créateur, M. Janet reste en suspens. C’est une preuve de son scrupule scientifique ; mais en sa qualité de spiritualiste il aurait pu, je crois, se dispenser de cette hésitation, car une question plus grande que celle de ces deux doctrines, la question de la distinction essentielle entre l’esprit et la matière, est au fond de ce débat. Sur celle-là, M. Janet a, je pense, son parti-pris.

Je ne puis ni ne veux recommencer ici l’apologie du christianisme considéré dans tous ses élémens et sous ses divers aspects. Mon seul dessein a été de poser nettement la grande question, qui est, selon moi, le point de départ de cette apologie et en marque le vrai et général caractère. Je rencontre cependant, dans la critique que fait M. Janet de ma défense du christianisme, des objections spéciales auxquelles je ne puis me dispenser de toucher.


III.

Il me reproche de réduire le christianisme à cinq dogmes fondamentaux : la création, la Providence, le péché originel, l’incarnation et la rédemption. « C’est là, dit-il, une table artificielle, arbitraire, insuffisante, à un point de vue rigoureusement chrétien. Comprend-on que le dogme de la Trinité n’y soit pas mentionné ? Que devient le Saint-Esprit dans cette théologie ? Comment M. Guizot passe-t-il entièrement sous silence le grand débat qui a mis l’Europe en feu au XVIe siècle, et pour lequel, dans les deux églises, tant de grands hommes sont morts martyrs de leur foi, le débat sur la présence de Jésus-Christ dans l’hostie ? On n’est pas moins étonné de voir M. Guizot renvoyer aux théologiens le débat de la grâce et du libre arbitre, de la foi et des œuvres. Qu’est-ce que le christianisme, si la doctrine de la grâce, la doctrine de la justification, sont des doctrines lâches et arbitraires dont on prend ce qu’on veut et que l’on accommode, suivant les temps, aux exigences profanes du sens commun, abandonnant le dogme lui-même, dans sa précision et sa rigueur, au pédantisme théologique ? Le christianisme de M. Guizot est une