Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’ébahir et de la regarder avec une surprise ironique, tant cette conduite semblait bizarre, même en tenant compte des prétentions de la dame, qui se regarde comme une des mères de la haute église ; mais revenons au poste éminent où ses étranges façons m’avaient contrainte de m’installer. Les lords qui, voisins de la chaire, m’avaient vu faire mine d’y monter racontèrent en plaisantant à mon mari qu’ils s’étaient un moment flattés de m’entendre prêcher. — Son zèle pourrait l’y convier, répondit-il, mais je ne lui connais pas le talent des sermons. — Oh ! que si fait, mylord, repartit aussitôt lord Nottingham[1]. Depuis près de quatre ans, votre femme va prêchant de telles doctrines que, si elle avait été pour cela traduite en cour de justice, vous-même, vous son mari, auriez eu grand’peine à la défendre. — Ces paroles et le procédé de lady Nottingham, m’ouvrant tout à coup les yeux sur la haine que nous portait une famille si influente, me confirmèrent dans l’idée que la princesse ne pouvait songer à m’approcher de sa personne.

Ce fut au couronnement que lord Bolingbroke vit le roi pour la première fois, après plusieurs tentatives inutiles pour être admis auprès de sa majesté. En face de cette figure inconnue, le roi, au moment même où l’ex-ministre fléchissait le genou devant lui, demanda qui ce pouvait être. Cette question ne fut pas perdue pour l’habile courtisan, qui, après avoir descendu les marches du trône, se retourna et salua trois fois jusqu’à terre le souverain qu’il n’avait pas pu en écarter. On peut bien penser que les jacobites, ce matin-là, n’étaient pas précisément à la noce ; mais pas un n’avait manqué de venir, et ils faisaient aussi bon visage que possible, répondant en revanche avec une amertume sarcastique à quiconque leur adressait la parole. J’avais par exemple à quelques sièges au-dessous du mien lady Dorchester[2], l’ancienne maîtresse du roi Jacques II, et au moment où l’archevêque faisait le tour du trône, demandant, selon le rituel, le consentement de l’assistance, elle dit presque haut, s’adressant à moi : — Comment ce vieil imbécile peut-il croire qu’on ira lui répondre non au milieu de tant d’épées sorties du fourreau ?

Quatre jours après, au sortir de la chapelle, — c’était un dimanche, — je me rendis au drawing-room de leurs altesses. La princesse, dès qu’elle m’aperçut, vint à moi. — Lady Essex Robartes vous a-t-elle transmis mon message ? — Je ne l’ai pas vue, répondis-je, depuis

  1. Daniel Finch, un des parangons de l’anglicanisme, qui à l’avènement de George Ier fut président du conseil. Il quitta les affaires publiques en 1716.
  2. Catherine Sedley, créée — pour ses bons et loyaux services — comtesse de Dorchester. C’est elle qui disait avec autant d’effronterie que de gaîté : « Je me demande pour quelles qualités Jacques II choisit ses favorites. Pas une de nous n’est jolie, et si nous ayons quelque esprit, il est trop… borné pour s’en apercevoir. »