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allemand, devenu tout à coup un des plus puissans souverains de l’Europe, se donnait, comme indécis, tout le temps de la réflexion, tous les dehors de l’indifférence. Plus de trois semaines s’écoulèrent avant qu’il eût achevé les préparatifs de son départ, et même alors, quand les moindres affaires de son électorat chéri eurent été compendieusement ajustées et réglées, il ne pouvait, paraît-il, se résoudre à quitter ses bons Hanovriens. On lui fit l’honneur de croire que ces délais étaient le résultat de profonds calculs, on s’imagina qu’une prudence extrême le retenait sur le continent jusqu’à ce que les affaires anglaises eussent pris un tour plus décidé ; mais, en l’étudiant de plus près, les historiens en sont venus à ne plus voir dans cette lenteur de résolution et d’allures que le flegme naturel à sa nature essentiellement germanique. Parti le 31 août du Hanovre, il n’aborda que le 18 septembre sur la berge de Greenwich, après un séjour à La Haye, où il avait reçu les ambassadeurs, de toutes parts accourus pour le complimenter.

Ses états allemands restaient confiés à un conseil de régence que présidait son frère, le prince Ernest, qui allait devenir évêque d’Osnabruck. Il emmenait avec lui son fils aîné, George-Auguste (depuis George II), et sa bru, Wilhelmine-Dorothée-Charlotte, fille de Jean-Frédéric, margrave de Brandebourg-Anspach. A la suite du nouveau roi parurent d’autres personnages, favoris et favorites, qui jetèrent une certaine défaveur sur le caractère de leur maître : le baron de Bernstorff, mêlé à la sombre aventure qui avait eu pour dénoûment l’abominable assassinat de Königsmark[1], — la comtesse Sophie Platen, fille de l’odieuse créature qui joua le principal rôle dans cette tragédie, et mariée au complaisant général Kielmansegge, — Mlle Ermengarde-Mélusine de Schulenburg, que, parmi les filles d’honneur de sa mère, George Ier avait élue pour maîtresse, — le baron de Bothmar, diplomate hanovrien, ténébreux agent de toutes les intrigues qui avaient eu pour objet d’assurer à son maître la couronne d’Angleterre, — M. Robethon, le secrétaire intime, et sa digne moitié, deux espèces qu’on retrouve mêlées à toutes les menues besognes, à tous les immondes trafics d’une administration corrompue et corruptrice. Cette petite bande de parasites affamés, — ajoutez-y deux Turcs, deux mamelouks, Mahomet et Mustapha, — se ruèrent aussitôt sur la riche proie que leur offrait l’Angleterre, tout à coup livrée à leur discrétion. Leur maître, complètement isolé du peuple qu’il avait à gouverner et dont il ignorait la langue aussi bien que les coutumes et les sentimens, semblait trouver tout naturel qu’on exploitât cette facile conquête. On a conservé l’historiette de ce cuisinier habitué aux économies

  1. Voyez sur cette participation et le caractère de Bernstorff la Revue de juillet 1845.