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que des officiers, naturellement plus sympathiques à une aristocratie brillante et belliqueuse qu’à une multitude courbée sous la menace et dégradée par une oppression de plusieurs siècles. L’œuvre patiente de la justice, le travail minutieux que réclament l’assiette et la répartition des impôts, la paperasserie, comme on l’a dit, ne sont pas faits pour des jeunes gens que le goût d’une vie aventureuse et libre, la séduction du commandement absolu, le désir de l’avancement, bien plus qu’une vocation d’administrateur ou de comptable, ont poussés à solliciter un poste dans les bureaux arabes.

La propriété individuelle une fois établie dans la tribu, les Européens s’y introduiront vite. Ils y trouveront les terres qui leur manquent et la main-d’œuvre qui leur fait défaut. Ils y apporteront, bien mieux que n’ont su le faire tous les règlemens du monde, les bienfaits de la civilisation. Les revendications des colons sont nombreuses. Leurs cahiers sont volumineux : nous n’avons pas l’intention de les parcourir ; en voici le motif, c’est que nous avons la conviction que lorsqu’ils auront obtenu les deux grandes réformes que nous avons dites, c’est-à-dire la substitution d’une administration vraiment civile au gouvernement militaire et la constitution sérieuse de la propriété individuelle chez les Arabes, ils auront toutes les autres comme par surcroît.

Combien de temps attendront-ils encore ? Chaque année, leur cause enregistre un progrès nouveau ; chaque session du corps législatif est marquée par un vote plus favorable à leurs intérêts. La nouvelle chambre, avec les tendances libérales qui s’y révèlent, avec les prérogatives qu’elle vient de conquérir, va leur permettre enfin de se faire entendre sérieusement. Nous avons plus de confiance, nous l’avouons, dans l’initiative parlementaire provoquée et soutenue par le puissant réveil de l’opinion publique que dans cette fameuse commission chargée d’élaborer à huis clos une constitution algérienne, et dans laquelle on n’a fait aucune place à la représentation coloniale. Bientôt, tout le fait espérer, l’Algérie saluera l’aurore d’une ère nouvelle. Les colons sauront l’attendre. Ils ont appris la patience sur cette terre où ils ont tant lutté, parmi ce monde musulman dont elle forme la qualité dominante. Par-dessus tout, ils sont épris du pays qu’ils habitent, et la souffrance ne les en chassera pas. — Et de fait, quand on vit sous ce beau ciel, quand on a le spectacle de cette riche nature éclairée par une splendide lumière, il semble que l’esprit ait plus de peine à s’assombrir, et que l’âme soit plus forte contre les déceptions de la vie.


ARSENE VACHEROT.