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Plût à Dieu qu’il en fût ainsi ! Malheureusement la terre melk n’est aliénable que théoriquement ; en fait, telle ne l’est pas. Les melk sont des biens jadis donnés par les beys ou les pachas à certaines familles en récompense de services rendus. Certes, à l’origine, la terre melk eût été facilement transmissible, puisqu’elle n’avait qu’un propriétaire, et que des droits de celui-ci reposaient sur un titre. Aujourd’hui, après plusieurs générations., elle se trouve appartenir à une infinité de personnes, car la législation musulmane perpétue l’indivision. Ce vice de la loi est encore exagéré par les mœurs indigènes, par la mauvaise foi des vendeurs, par la corruptibilité des magistrats. Les Européens n’achètent pas de melk, et cela se comprend : une pareille acquisition ne leur offre aucune sécurité. Ne pouvant connaître les ayants-droit, qui souvent n’habitent pas la même tribu, n’étant jamais sûrs de les savoir tous désintéressés, bien qu’ils aient versé intégralement le prix d’achat, ils ont renoncé bien vite à des transactions aussi aventureuses. Peut-être serait-il possible de parer à ces difficultés en appliquant dans le territoire militaire un système de transcription analogue au nôtre. Il en a été plusieurs fois question ; mais jusqu’ici les bureaux arabes ont refusé de s’y prêter. D’ailleurs la transcription elle-même n’est pas exempte de périls : si elle est efficace pour assurer le droit de propriété, elle peut consacrer des injustices dont l’indigène, ignorant les subtilités de la loi, pâtirait tout d’abord ; or l’injustice engendre des rancunes dont l’Européen pourrait bien être aussi la victime.

Ainsi donc, au point où se place le débat, la distinction qu’on a voulu établir entre les biens arch et les biens melk est tout à fait sans objet. Sans doute ces deux espèces de biens offrent une grande dissemblance au point de vue juridique ; mais ni les uns ni les autres ne peuvent entrer dans de commerce, et c’est tout ce qui importe aux colons. M. le maréchal de Mac-Mahon reconnaissait lui-même, dans son rapport à l’empereur du 23 avril 1868, « qu’il était à peu près impossible de devenir acquéreur d’un bien melk. » Si l’on en veut une preuve plus éclatante encore, il suffit de consulter le tableau officiel des biens vendus de 1863 à 1868. Les melk n’y figurent que pour 7,617 hectares ; encore y a-t-il lieu de penser que l’administration a englobé dans une même catégorie les biens melk et les terres provenant de l’ancien beylick[1].

Le gouvernement-général n’a donc pour le moment qu’un très petit nombre d’hectares (177,000) à offrir soit aux colons anciennement établis, soit à ceux qui seraient tentés d’aller se fixer en Algérie. Les perspectives de l’avenir sont-elles faites pour nous consoler du

  1. Le beylick était le domaine du bey ou du pacha. Par le fait de la conquête française, il est devenu domaine de l’état.