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générale des biens des tribus, a en effet provoqué des revendications indigènes sur lesquelles l’administration militaire s’est montrée fort large ; d’autre part, les Arabes ont été admis à surenchérir dans toutes les adjudications faites par le domaine, bien qu’il s’agît de terres formellement promises et réservées aux colons. Si du moins l’exécution du sénatus-consulte était très avancée, si la propriété individuelle était presque partout constituée, les colons pourraient se consoler d’avoir été frustrés des terres domaniales par l’espoir d’acheter bientôt celles des indigènes, l’attente leur serait moins pénible ; mais, sur les 800 tribus que l’on compte dans le Tell, il n’y en a peut-être pas aujourd’hui plus du tiers dont le territoire soit délimité. En calculant d’après la même proportion, la reconnaissance complète des biens des tribus et la répartition entre les différens douars ne seront pas achevées avant l’année 1880. Encore, quand ce travail sera terminé, sera-t-on loin d’avoir définitivement assis la propriété individuelle ; il faudra répartir le territoire du douar entre toutes les familles qui le composent. Bien que cette seconde opération du partage doive laisser de côté les terrains de parcours, les communaux, les biens melk, et porter seulement sur les terres collectives de culture, elle exigera, si elle est faite avec soin, beaucoup plus de temps que la première. Une pareille perspective n’est pas faite pour calmer l’impatience des colons, qui étouffent dans l’enceinte trop étroite du territoire civil. Puisque nous avons prononcé ce mot, il importe de l’expliquer. En principe, toute l’étendue du sol algérien est territoire militaire ; mais, par exception, l’administration militaire a bien voulu renoncer à ses prérogatives dans un rayon plus ou moins large autour des principaux centres européens. L’ensemble de ces petites surfaces, qui parfois ne dépassent guère ce que nous appelons la banlieue d’une ville, constitue le territoire civil. Les colons y trouvent à peu près les mêmes garanties qu’en France ; on les a justement comparées à des oasis dans le désert, ou bien à des îlots perdus au milieu d’un lac. Il n’est pas rare d’y voir une population européenne très condensée, tandis qu’à côté de fertiles étendues demeurent pour ainsi dire sans culture et sans habitans. Aux interpellations pressantes qu’on lui adresse à cet égard, le gouvernement répond que la colonisation n’a pas à se plaindre de manquer de terres : l’interdiction d’acquérir en territoire militaire, prononcée par la loi du 16 juin 1851, est levée aujourd’hui. Les colons peuvent acheter aux Arabes, sinon des terres arch, qui n’entreront dans le commerce que lorsque la propriété individuelle sera constituée, du moins des terres melk. Celles-ci sont de véritables propriétés particulières, garanties par des titres. Rien ne s’oppose à ce qu’elles fassent l’objet de transactions entre indigènes et Européens.