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l’élément étranger, poussé en Algérie par ces émigrations successives qui marquèrent les premiers siècles de l’ère musulmane. Les deux races diffèrent profondément par la conformation physique, par les mœurs, par l’organisation sociale : elles n’ont de commun que la religion et la langue. Le Kabyle a les traits plus vulgaires, mais la complexion plus robuste que l’Arabe. A la différence de ce dernier, dont l’attitude est calme et contemplative, il est actif, ardent, passionné. Sur les routes où il conduit ses troupeaux, sur les marchés où il vend son grain et ses légumes, on entend les éclats de sa voix gutturale. La polygamie, l’indivision, ces deux grandes plaies du monde musulman, ne l’ont pas atteint. Il est monogame ; il jouit de tous les avantages de la propriété individuelle, et lui doit uns aisance relative. Il a sa maison, son jardin, son champ, d’ordinaire soigneusement clos. Le village qu’il habite forme une sorte de communs administrée par un chef auquel est adjoint un conseil municipal élu. Fixé au sol par le sentiment de la propriété, le Kabyle ne le quitte que pour aller louer ses bras, soit à la ville, soit dans les fermes européennes au moment de la moisson. Sa vigueur et ses habitudes laborieuses en font un auxiliaire aussi précieux que recherché.

Voilà le Kabyle tel qu’il se montre encore dans cette partie montagneuse que nous avons appelée la Grande-Kabylie, ou bien encore dans les oasis reculées du Sahara. Le reste de la population se compose soit d’Arabes proprement dits, soit de Berbères arabisans, voués les uns et les autres à la vie nomade et pastorale. C’est à peine si autour de leurs gourbis, cabanes grossièrement construites avec des branchages, ils sèment du blé ou de l’orge sur quelques champs mal nettoyés des pierres ou des broussailles qui les encombrent. Avant tout, ils considèrent le sol comme un terrain de parcours pour leurs troupeaux. Cette manière primitive d’envisager la terre est une cause de ruine pour l’Algérie ; elle explique pourquoi les forêts sont aussi clair-semées dans un pays où elles devraient couvrir presque toute la surface du sol : de tout temps, les Arabes les ont brûlées. Leurs bestiaux, moins difficiles que les nôtres, se nourrissent presque exclusivement des pousses des jeunes arbres. Quand les arbustes commencent à braver la dent des troupeaux, quand les broussailles s’apprêtent à devenir taillis, les Arabes y mettent le feu. Aujourd’hui encore, malgré notre surveillance active, les incendies sont fréquens. Ils éclatent surtout pendant les ardeurs de l’été, quand souffle le vent du désert, le sirocco. Souvent le feu est mis sur plusieurs points à la fois, à de grandes distances, et cause des désastres considérables. On pourrait croire à un mot d’ordre, il n’en est rien ; seulement les Arabes ont trouvé le moment propice pour renouveler leurs pâturages.