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aucune intention de conquête. La prise d’Alger nous a conduits à nous établir dans la fertile plaine de la Mitidja. Peu à peu, séduits par la richesse du pays, surexcités par les incursions des arabes, puis entraînés par les ardeurs de la lutte lorsqu’éclata la guerre sainte, nous avons conquis toute l’Algérie. Durant cette période, l’irrésolution de la politique française était excusable ; plus tard, quand nos armes n’ont plus rencontré de résistance, quand la nature du sol et les mœurs des populations indigènes nous ont été parfaitement connues, le moment était venu de prendre une résolution définitive. Nous avions alors le choix entre trois partis. Nous pouvions nous contenter d’occuper la côte et d’établir dans les villes du littoral des espèces de comptoirs où les indigènes seraient venus nous apporter leurs produits, où notre commerce leur aurait livré les siens. Ce premier parti était assurément le plus simple ; mais l’adopter après la conquête de l’Algérie, c’était avouer qu’on reculait. Déjà en effet nous avions semé dans l’intérieur de nombreux élémens de colonisation ; partout agriculteurs et marchands avaient suivi nos soldats et s’étaient établis derrière eux dans les portes qu’ils occupaient. — Nous pouvions encore rejeter les Arabes par-delà les montagnes, dans la partie qu’on appelle les hauts plateaux, où ils eussent vécu tant bien que mal de leur vie de pasteurs, comme les tribus du sud, établir dans les fertiles étendues du Tell une population européenne d’une densité presque égale à celle du midi de la France, placer sur la frontière de nos possessions un cordon de postes militaires, faire en un mot de cette Algérie toute peuplée d’Européens une véritable province française qui, par la richesse du sol, par la multiplicité des échanges avec l’Europe au nord, avec les indigènes au sud, n’eût pas manqué d’être prospère. — Enfin restait un dernier parti à prendre, plein d’écueils et de complications : c’était d’occuper toute l’Algérie et d’y répandre un peu partout une population européenne destinée à transformer peu à peu la population indigène, à lui donner ses procédés de culture, à l’initier à son industrie, à lui faire accepta la plupart de ces réformes qui constituent la civilisation.

Le gouvernement de la France parait avoir adopté cette dernière politique. Toutefois, s’il en a souvent proclamé le programme, dans la réalité des choses il n’en a pas toujours poursuivi l’accomplissement. Il a fait de nombreux emprunts au système turc, et bien que notre domination s’éloigne assez de celle de nos prédécesseurs pour la dignité du vainqueur, elle n’en diffère pas suffisamment pour le progrès du vaincu. Nous n’avons rien changé à la constitution de la tribu : nous avons conservé à peu près l’organisation administrative qu’Abd-el-Kader avait établie. Sur cette société scrupuleusement respectée, nous nous sommes bornés à greffer l’institution des