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contradiction qui pourrait exister entre la constitution d’un peuple et ses mœurs compliquerait singulièrement le problème, introduirait dans le corps politique deux principes divergens qui travailleraient constamment à produire en opposition l’un avec l’autre toutes leurs conséquences.

Personne ne prétend que l’Angleterre est moins maîtresse de ses destinées que l’Union américaine ne l’est des siennes.-Cependant il ne viendrait à la pensée d’aucun homme d’état de vouloir introduire dans la constitution anglaise quelques-unes des conditions de la république américaine, et le citoyen des États-Unis qui tenterait d’importer à l’usage du président de l’Union quelques-unes des prérogatives, même les plus inoffensives, de la reine Victoria, passerait pour un révolutionnaire de la pire espèce. La solution de ces questions de forme dépend dans une certaine mesure des précédens historiques, des traditions des peuples, et aussi des tendances de leur esprit et de leur imagination. Un architecte ne construira pas un monument pour qu’il soit un temple ou une église ; avant de l’entreprendre, il sera fixé sur la destination de l’édifice. Je regrette que, pour établir le gouvernement de la France nouvelle, M. Prevost-Paradol n’ait pas choisi plus nettement les conditions de la monarchie parlementaire ou de la république ; son œuvre y aurait gagné plus d’unité et d’harmonie.

L’histoire du premier empire, de la restauration et du gouvernement de juillet est en même temps l’histoire des efforts et des sacrifices souvent renouvelés et toujours impuissans pour réaliser la conciliation de l’ordre et de la liberté, cet idéal d’une société arrivée au plus haut degré de civilisation. Pourtant est-il juste de dire, comme le fait M. Prevost-Paradol, que ces échecs soient exclusivement dus aux passions et aux fautes des gouvernemens qui se sont succédé chez nous ? Croit-on qu’avec des mœurs plus viriles, plus en accord avec les conditions d’un état libre, qu’avec un sens pratique plus ferme, une volonté plus opiniâtre, la nation française n’aurait pas imprimé aux événemens une autre direction, et fait triompher un régime libéral ? Si la France avait aimé la liberté un peu plus que la gloire, l’empereur Napoléon Ier n’aurait pas réussi à en faire la complice de son ambition et à la traîner sur tous les champs de bataille de l’Europe à la poursuite de la souveraineté universelle. Si la patience était une vertu de notre caractère national, si le culte de la loi était pratiqué chez nous comme il l’est en Angleterre, la France ne pouvait-elle pas, après avoir châtié l’attentat contre la charte du roi Charles X, se remettre à son œuvre libérale, sans augmenter ses difficultés par l’établissement d’uns nouvelle dynastie et l’exclusion des élémens conservateurs ? Se borner à