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régie par les mêmes lois civiles et les mêmes habitudes que la France. La fonction de juge ne saurait émanes de la volonté du peuple comme la fonction législative, ni de la volonté du pouvoir comme la fonction d’administrer. Elle doit se dégager d’un ensemble de dispositions propres à faire surgir l’organe éclairé et inflexible du droit.

Notre organisation judiciaire est conforme aux traditions nationales. Constituée par la révolution et l’empire, elle n’en conserve pas moins une empreinte plus ancienne qui rappelle les présidiaux, ancêtres de nos tribunaux de première instance, les parlemens, qui ont donné naissance à nos cours d’appel, et une section du conseil du roi qui portait l’idée génératrice de notre cour de cassation. A bien des titres, cet ensemble d’institutions satisfait aux exigences d’une saine raison, et, en même temps, qu’il est en harmonie avec le génie de la France, il s’encadre sans difficulté dans une société démocratique et libérale. Sauf les cas exceptionnels où le jury intervient, le juge statue à la fois sur le fait et sur le droit, ce qui est une nécessité. A part les justices de paix, les décisions appartient non pas à un juge unique, mais à un tribunal composé de plusieurs juges ou à une cour formée de plusieurs conseillers. Cette pluralité des juges est conforme à la nature de la fonction, puisque juger est une œuvre non d’action, mais de délibération ; elle est une garantie contre l’arbitraire on l’incapacité ; en outre elle dégage la responsabilité souvent trop lourde qui pourrait peser sur le magistrat isolé. Dans cette organisation, la justice est facilement accessible au plus humble citoyen, et ce système est bien autrement libéral que celui de l’Angleterre, où le justiciable est obligé d’attendre un juge nomade qui n’arrive qu’à certaines époques de l’année. Notre organisation judiciaire a ses premières assises, dans les couches les plus profondes du corps social ; elle se développe par une hiérarchie graduée et dans des corps judiciaires qui se superposent les uns aux autres pour aboutir à la grande cour régulatrice où se personnifie l’idée du droit.

Cependant des améliorations peuvent y être introduites. Ainsi pourquoi ne pas donner aux juges de paix l’inamovibilité comme aux autres magistrats ? Constamment en contact avec les classes inférieures de la population, ils y gagneraient en autorité morale vis-à-vis d’elles et en indépendance vis-à-vis du pouvoir. — Le décret de 1852, qui limite l’âge des magistrats à soixante-dix ans pour les cours d’appel et à soixante-quinze ans : pour la cour de cassation, est attentatoire au principe de l’inamovibilité aussi bien qu’à la dignité de la magistrature, qu’il met en quelque sorte en coupe réglée. Il faut l’abroger, c’est une des premières réformes à