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l’administration de la justice : l’indépendance et les lumières. L’indépendance ne peut être assurée que par un bon mode de recrutement du personnel judiciaire, la compétence ne peut l’être que par des conditions de capacité obligatoires.

Quel sera le mode de recrutement ? Si c’est le pouvoir exécutif qui choisit les magistrats et décide de leur avancement, on comprend qu’ils seront plus ou moins sous la dépendance du gouvernement. On aura beau les investir du privilège de l’inamovibilité, comme on l’a fait jusqu’à présent en France, ils n’en seront pas moins tentés de gagner la faveur du chef de l’état pour avancer dans leur carrière. Si leur recrutement se fait par l’élection, ne court-on pas un autre danger ? Ne verra-t-on pas les membres du corps judiciaire s’attacher par calcul au parti prépondérant, avoir toujours en vue la popularité plutôt que la justice, et flatter l’opinion à laquelle ils doivent leur situation afin d’en acquérir une plus élevée ? Le problème consiste donc à trouver une combinaison qui puisse soustraire la magistrature à l’arbitraire des choix et aux passions des partis.

D’abord dégageons la question d’un point qui l’embarrasse par-dessus tout, je veux parler des contestations politiques. Toutes les fois que la magistrature sera chargée à elle seule de les résoudre, elle y perdra le caractère d’impartialité qui doit lui appartenir. Si les délits et les crimes commis par la voie de la presse ou des réunions publiques, si les manœuvres coupables des partis, les complots contre la sûreté de l’état, sont déférés aux tribunaux, les décisions paraissent dictées ou par le pouvoir attaqué, ou par la crainte de l’impopularité, et dans l’un comme dans l’autre cas les juges perdent le respect des populations. L’histoire contemporaine ne fournit que trop de preuves de cette vérité. Sans prétendre importer en France les institutions américaines ou anglaises, auxquelles nos mœurs ne se prêtent pas, on peut éviter ce double écueil par l’intervention du jury dans toutes les affaires où l’élément politique se trouve mêlé. Le jury, par son origine, exprime l’opinion publique, à laquelle il faut toujours s’adresser dans un pays libre. C’est la société, représentée par quelques-uns de ses membres tirés au sort, qui est chargée d’apprécier des faits réputés coupables, et, son verdict rendu, les magistrats n’ont plus qu’à appliquer les pénalités. Quoi de plus variable que le caractère d’un fait politique incriminé ? Tantôt il est de nature à être considéré comme innocent à cause des mobiles qui l’ont suscité ou de faits accessoires qui l’ont accompagné, comme dans l’affaire de Strasbourg, tantôt, quoique semblable dans sa manifestation, il devient condamnable par les dangers qu’il a fait courir à la chose publique. Cette appréciation toute morale et relative ne peut être faite que par des citoyens animés du sentiment