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Le gouvernement parlementaire, pour être complet, doit encore remplir deux autres conditions, l’irresponsabilité du chef de l’état et la responsabilité des ministres ; — Que veut la nation en constituant la royauté héréditaire ? Assurer la durée du pouvoir dans une famille, afin d’éviter les troubles provoqués par la perspective d’une couronne à conquérir et d’empêcher les solutions de continuité trop fréquentes dans la politique générale. Or la continuité du pouvoir peut être atteinte par la responsabilité. D’autres raisons justifient l’immunité dont il s’agit de doter la couronne. Le chef de l’état n’a pas de volonté qui lui soit propre. Tous les actes auxquels son autorité est attachée n’ont d’effet que s’ils sont contre-signés par les ministres, et ceux-ci peuvent refuser leur contre-seing à ceux qu’ils jugent contraires au sentiment public ou aux principes constitutionnels. Le rôle du souverain est celui d’un arbitre entre les partis, et il ne doit, sous aucun prétexte, quitter sa sphère d’impartialité. — Mais, dit-on, il sortira de cette immobilité majestueuse, s’il y est poussé par son intérêt personnel, par la conviction plus ou moins éclairée que le bien de la nation lui en fait un devoir, comme il est arrivé à Charles X en 1830 et au président de la république en 1851. Cette hypothèse n’est pas invraisemblable. Quand elle se réalise, le chef de l’état agit à ses risques et périls. Ce jour-là, il se dépouille de son inviolabilité, il rompt le pacte fondamental, il fait un coup d’état et défie la révolution. Pour un cas semblable, il n’est pas nécessaire d’écrire dans la constitution que « l’insurrection est le plus sacré des devoirs ; » chez un peuple où les mœurs de la liberté ont pris racine, cette maxime doit se trouver dans tous les cœurs.

Récemment s’est produite une théorie dans laquelle on préconise. la coexistence de deux responsabilités, celle du chef de l’état et celle des ministres. Cette invention est due probablement à la nécessité de démontrer que la constitution actuelle de l’empire français n’est pas incompatible avec un régime de liberté. Ces deux responsabilités s’appliquent, l’une à la marche générale de la politique intérieure et extérieure, l’autre à l’administration ; la première incombe au chef de l’état, la seconde aux ministres. Qui peut délimiter exactement le domaine de la politique générale et celui de l’administration ? La casuistique constitutionnelle la plus déliée y échouerait. Conçoit-on par exemple quelque grand dessein, un projet destiné à exercer de l’influence sur la marche générale de la politique, dont la préparation et la réalisation n’exigent des mesures nombreuses d’administration ? Le chef de l’état, qui a la responsabilité de la politique générale, ne pourra-t-il pas l’invoquer pour obliger les ministres, qui ont la responsabilité des actes administratifs, à exécuter les travaux nécessaires à son plan ? Ainsi des