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prestige moral ; il concentrera dans ses mains l’autorité de la nation, puisqu’il en sera investi par ses mandataires. Ce n’est pas un intermédiaire entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, c’est un troisième pouvoir plus fort qu’eux. Pour le roi, c’est un maire du palais ; pour les chambres, c’est un dictateur.

Dans ce système, les objections que les auteurs de la constitution des États-Unis élevaient contre la présence des ministres au congrès se trouvent, on le comprend, singulièrement aggravées ; elles diminuent au contraire d’importance, si, au lieu d’accorder à la représentation nationale le droit d’élire le chef du cabinet, et à celui-ci le soin de choisir ses collègues, la formation du ministère est confiée au chef de l’état. Est-ce à dire que cette formation sera complètement indépendants ? Non ; elle se fera avec le concours indirect des chambres. Le roi sait que sans ce concours l’action gouvernementale serait arrêtée ; il sait que son intérêt l’oblige à prendre ses ministres parmi les hommes exerçant sur les assemblées la plus grande influence. Qu’un de ces hommes devienne, par l’autorité de son caractère, par l’ascendant de sa parole, le chef du cabinet, qu’il ait une action prépondérante sur la royauté et sur le parlement, rien de plus désirable, rien de plus légitime, car elle ne sera suspecte ni à l’un ni à l’autre, et maintiendra l’entente entre eux. C’est ce qui se pratique en Angleterre, en Belgique et dans tous les pays où le régime parlementaire est en vigueur ; c’est ce qui s’est réalisé en France sous les gouvernemens représentatifs. On dit, il est vrai, que la couronne peut se tromper dans ses choix. Le correctif de cette erreur est à la disposition du pouvoir législatif, qui peut la signaler par ses votes, et au besoin manifester son refus de concours en déclarant expressément que le cabinet « n’a pas sa confiance. » Alors la rupture est complète entre les deux pouvoirs, et deux partis sont à prendre, — ou appeler au ministère des hommes en conformité de sentimens avec les représentans du pays, ou dissoudre les chambres en recourant à de nouvelles élections. Les chambres aussi sont exposées à l’erreur ; elles peuvent céder à des entraînemens passionnés, tenter des usurpations, s’opiniâtrer dans certains projets sans l’assentiment du pays. Les ministres, dans leur rôle de médiateurs, étudient les symptômes de cet état des assemblées, et s’efforcent d’y remédier par la conduite qu’ils impriment au pouvoir exécutif. Ils écartent ou éloignent par des tempéramens habiles le recours aux mesures extrêmes, telles que le veto et la dissolution. M. Prevost-Paradol n’est point partisan du veto. — Il lui reproche, s’il est exercé par le chef de l’état, roi ou président, de permettre à une volonté unique d’entraver la volonté de la majorité législative, et, s’il est exercé sous la responsabilité ministérielle, d’être en fait