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systèmes philosophiques, des œuvres de l’esprit humain, des explications inventées par des philosophes pour résoudre les problèmes de l’humanité. Dans le christianisme, les faits ont précédé les dogmes ; c’est à titre de faits, de faits réels et attestés tantôt par d’antiques documens et des traditions permanentes, tantôt par les contemporains eux-mêmes, que les croyances chrétiennes se sont établies et ont marché à la conquête du monde ; la création, la Providence, le péché originel, l’incarnation, la rédemption, ont été les faits chrétiens avant de devenir d’abord la religion chrétienne, puis la théologie chrétienne. La théologie s’est appliquée à commenter, à développer, à réduire en système les faits religieux : elle a pu se tromper, elle s’est souvent trompée dans son travail, mais elle n’a pas inventé les faits sur lesquels elle s’est exercée, elle les a reçus d’une source supérieure au génie humain. Le christianisme est bien autre chose qu’un système ; c’est une histoire, la plus grande, la plus complète, la plus générale, j’aurais droit de dire la seule grande, la seule complète, la seule générale histoire du genre humain, car c’est la seule qui s’inquiète et qui traite de la destinée du genre humain tout entier. C’est l’histoire des rapports directs et spéciaux de Dieu avec l’homme, du créateur avec sa créature et avec la série des générations humaines. Il y a, s’il est permis de parler ainsi, deux acteurs dans cette histoire : Dieu, être unique, à la fois infini et personnel, libre et immuable dans sa perfection ; l’homme, être intelligent et libre, avec les imperfections originaires et les développemens orageux et successifs de sa nature. C’est là le drame reproduit dans les livres saints, et dans lequel apparaissent ensemble d’une part la présence et l’inspiration divines, de l’autre les passions, les mœurs, les vices, les faiblesses et les ignorances humaines. Je crois avoir mis en lumière dans mes Méditations sur la religion chrétienne ce naturel et frappant mélange, et j’ai ainsi assigné la cause des erreurs qui se rencontrent dans les livres saints à côté des vérités sublimes qui s’y révèlent. « Dieu, ai-je dit, n’a pas voulu par une voie surnaturelle enseigner aux hommes la grammaire, et pas plus la géologie, l’astronomie, la géographie ou la chronologie que la grammaire. C’est sur leurs rapports avec leur créateur sur leurs devoirs envers lui et entre eux, c’est-à-dire sur la religion et la morale seules, non sur aucune science humaine, que porte l’inspiration des livres saints. Dieu a dicté à Moïse les lois qui règlent les devoirs de l’homme envers Dieu et envers les hommes ; il a laissé à Newton la découverte des lois qui président à l’ordre des mondes. Si donc, en dehors des faits déclarés miraculeux, vous rencontrez dans les livres saints des termes, des assertions en désaccord avec les vérités reconnues dans les sciences