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sera-ce un gouvernement républicain ? sera-ce une monarchie constitutionnelle ? Quels seront les organes principaux de ce gouvernement, quel qu’il soit ?

Toutes les institutions humaines contiennent, comme le remarque très judicieusement M. Prevost-Paradol dans son livre de la France nouvelle, un mélange de fiction et de vérité ; « c’est le reflet même de l’esprit qui les conçoit. » Le pouvoir monarchique, personnel ou absolu, repose, dit-il, sur cette idée, qu’une même famille enfante à chaque génération un homme capable d’exercer la souveraineté avec sagesse et intelligence ; l’histoire n’a pas vérifié cette hypothèse. Le gouvernement aristocratique s’appuie sur cette autre idée, que certaines familles, mises par les lois au-dessus de la déchéance et du besoin, produisant d’une manière régulière l’élite morale et politique de la nation. Or jusqu’à présent l’Angleterre seule, avec l’esprit positif qui la distingue, a su se préserver des dangers de cette illusion en atténuant progressivement la prépondérance de la classe privilégiée. Aujourd’hui, après avoir profité de l’influence aristocratique pour fonder la liberté, elle appelle les autres classes à la maintenir et à la consolider. Enfin le gouvernement démocratique est fondé sur cette idée, que le plus grand nombre des citoyens fait un usage raisonnable de son vote et voit toujours avec discernement ce qui est conforme à la justice et avantageux à l’intérêt commun. C’est encore là une fiction.

La marche des événemens et les mœurs ont éliminé l’élément aristocratique de la constitution politique de la France ; Richelieu et Mazarin ont successivement courbé toutes les têtes trop hautes, et empêché qu’il ne se créât dans notre pays un parlement à l’instar de celui de l’Angleterre. Il fut un moment toutefois, une heure dans notre histoire, où cette entreprise eût pu réussir : c’est quand la fronde, conduits par de grands seigneurs, s’alliait à la magistrature et à la bourgeoisie pour imposer ses conditions à la royauté. Malheureusement cette vue était trop élevée alors. Embarrassé de ses auxiliaires, Condé les fit massacrer sur les marches de l’hôtel de ville de Paris, et la noblesse française, déposant les armes, n’exigea en échange de sa soumission que des richesses, des charges de cour et des gouvernemens de province. Le 5 juillet 1652 a vu s’évanouir pour toujours l’occasion de fonder en France des institutions libérales avec le concours de l’aristocratie.

La démocratie peut aussi bien servir de base à un gouvernement personnel qu’à un gouvernement contrôlé. Dans le premier cas, le peuple abdique ses droits et accepte l’égalité dans la sujétion. Ce régime repose sur les deux fictions qui servent de base à la monarchie absolue et au gouvernement populaire. Il suppose le souverain intelligent, sensé, animé exclusivement de l’amour du bien