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chacune d’elles sont calculés dans la proportion des satisfactions accordées à leurs besoins. C’est l’ordre, la justice et la vraie liberté.

À ces considérations, les défenseurs de notre régime administratif en ajoutent d’autres d’un ordre plus élevé. L’unité nationale, qui ne se maintient que par la centralisation, est, disent-ils, un rempart formidable contre les rivalités ou les hostilités des puissances étrangères. Dans les momens de danger, point de faiblesse partielle, point d’égoïsme local ; le sentiment qui anime le gouvernement se répand, comme par une chaîne électrique, dans tous les membres du corps social ; l’esprit qui l’agite porte son frisson patriotique jusqu’aux extrémités du territoire. Par aucune brèche, par aucune fissure, l’influence étrangère ne peut pénétrer pour altérer ou engourdir un pays ainsi constitué. C’est à cette organisation que nous avons dû en 93 l’élan unanime de nos populations courant aux frontières pour défendre le sol de la patrie. Un seul appel se fit entendre, une seule voix provoqua cet enthousiasme héroïque qui en quelques jours créa douze armées et sauva notre indépendance. C’est cette homogénéité qui nous assure le premier rang parmi les nations ; c’est elle qui explique l’ascendant de notre politique dans les rapports internationaux ; c’est par elle qu’en maintes occurrences nous avons pu résister aux forces coalisées de l’Europe. Tous les peuples, pour contre-balancer notre prépondérance, travaillent par des rapprochemens plus artificiels que naturels à former de grandes agglomérations. Et c’est cette supériorité qu’il s’agirait pour nous d’abdiquer précisément quand on nous la dispute, et cela pour des idées de liberté qui, même satisfaites, ne valent ni la grandeur ni l’indépendance du pays !

L’exemple des États-Unis, ajoute-t-on, n’a rien à faire dans cette discussion. La république américaine est un état fédératif, et comporte par sa nature la décentralisation. De plus cette grande nation, par sa position géographique, est à l’abri des dangers dont il vient d’être question. Quant à l’Angleterre, que l’on cite aussi, qu’on y regarde de près, et on reconnaîtra que, si la réunion de trois peuples de race et de mœurs différentes est un obstacle à ce qu’elle forme un seul corps de nation, elle s’étudie chaque jour avec énergie et persévérance à corriger ce vice originel de sa constitution territoriale. Pour seconder l’essor de l’industrie, de l’agriculture et de la population, le gouvernement de la Grande-Bretagne étend constamment son domaine, il multiplie les règlemens et les lois sur des matières qui naguère étaient livrées à l’initiative des individus ou des localités. Les corporations elles-mêmes perdent successivement leurs attributions au profit du pouvoir central : c’est le gouvernement qui nomme les comités de la salubrité publique, les inspecteurs des manufactures, les inspecteurs des poids et mesures, ceux des mines,